Comment, dans un couple, une rupture peut mettre en évidence la folie de toute la famille ? Démonstration savante de Régis Jauffret.
Légèrement oppressant au début, incroyablement inventif par la suite, ce roman de Régis Jauffret (paru en 2005 et récemment réédité chez Folio) dissèque avec une précision chirurgicale la rupture chez un jeune couple. La première partie est un long monologue d'une vingtaine de pages. La femme, Gisèle, raconte comment elle a rejeté cet homme, Damien, qu'elle n'aime plus. Comment il a sombré dans la déchéance en raison de cet abandon : "Après, il ne sera plus qu'un pauvre mec, il lassera ses meilleurs amis avec ses jérémiades, et il perdra son travail quand les services techniques l'accuseront de détremper les circuits informatiques avec la vapeur de ses larmes qui les corrodera comme l'air salé des tempêtes d'équinoxe". Elle se défoulera dans la parole, prenant le lecteur à témoin pour finalement lui confier : "Puisque notre histoire est terminée, c'est qu'elle n'a jamais eu lieu. Elle est à ce point imaginaire, que je vais vous la raconter. Sans pleurer, sans frémir, sans colère, sans émotion".
La fuite de la rupture
Tout commence donc un matin comme les autres. Damien, cadre dans une grande entreprise, doit assister à une réunion à Toulouse. Il se lève très tôt pour prendre l'avion. Gisèle déjeune avec lui puis va se recoucher. Durant la matinée, le père de Damien sonne chez Gisèle pour changer le robinet de la cuisine qui fuit. Mais ce n'est qu'un alibi car une fois la réparation achevée, il demande à Gisèle de l'aider à transporter la commode de famille prêtée au jeune couple. Et au passage d'emballer également les disques, les livres et l'ordinateur de Damien. Damien qui n'a pas eu le courage d'annoncer de vive voix sa rupture et qui a délégué cette tâche à son père. Gisèle n'y croit pas. Refuse en bloc cette éventualité. L'insistance du père parvient pourtant à la faire fléchir. Elle se retrouve seule dans l'appartement car le soir, effectivement, Damien n'est pas rentré. Il est retourné chez ses parents.
Gisèle semble s'enfoncer lentement mais sûrement dans la folie. Une folie qui l'avait épargnée car au fil des pages, le lecteur découvre les véritables personnalités de Damien et de ses parents. Le moins que l'on peut dire c'est que cette famille est étrange. Dérangée serait plus juste. Dans une maestria de formules décapantes et de faux dialogues (chaque protagoniste, à tour de rôle, explique sa vision de la rupture en faisant questions et réponses...), Régis Jauffret raconte cette famille de fous relativisant ces excès en expliquant que "notre avenir n'est pas tracé, nous nous modifions trop, nous sommes chaotiques, et je me dis parfois qu'à notre mort nous laisserons derrière nous la myriade de cadavres de tous ces gens que nous avons été pleinement, mais l'espace d'un instant, d'une semaine, ou de quelques années".
"Asiles de fous" de Régis Jauffret. Editions Gallimard. 16,50 €. (Folio, 5,80 €)
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