samedi 13 septembre 2025

BD - « Le petit frère » et « Un père » : la vie de famille de JeanLouis Tripp en dessins

Raconter sa famille, faire bonifier ses souvenirs et surtout ne pas les oublier. Telle semble la démarche de JeanLouis Tripp, auteur de bande dessinée lauréat du Prix Coup de Cœur des Vendanges littéraires, présent à Rivesaltes les 4 et 5 octobre.


Après une longue carrière dans la bande dessinée, parfois en pointillé, il a attendu d'avoir largement plus de 50 ans pour se recentrer sur ce qu'il connaît le mieux : sa propre vie. Et s'il parle de ses premiers émois sexuels dans les deux tomes d'« Extases », il change de registre avec « Le petit frère » et « Un père ». Deux gros romans graphiques de plus de 300 pages, essentiellement en noir et blanc. L'émotion y est omniprésente. Le lecteur ne peut que se reconnaître dans ces parcours racontés et dessinés avec talent et sans tabou.

Il faut parfois qu'un drame nous frappe de plein fouet pour prendre conscience de l'importance de la vie. En cet été 1976, Jean-Louis a 18 ans. Il est en vacances avec une partie de sa famille. Un mois à sillonner la Bretagne à bord d'une roulotte tiré par des chevaux. Une bulle de bonheur. Jusqu'à ce jour où Gilles, le petit frère, se fait mortellement renverser par un chauffard. Terminée la parenthèse enchantée, finie l'insouciance. Le malheur s'invite. L'été ne sera plus heureux, avec baignades, mures cueillies au bord de la route et nuits au calme, loin de tout danger... 

L'album, sorti en 2021, revient sur l'accident mais se penche aussi sur les suites. Comment la vie a continué, la façon dont la famille a survécu au procès. Ce récit, entre intime et universalité, entre douceur (souvenir des jours heureux) et rage (peut-on pardonner à l'assassin ?) a marqué les esprits. Preuve que la BD, loin de clichés, est devenue un art majeur, animé par de formidables artistes, créateurs novateurs, capables de s'accaparer et de révolutionner un média aux possibilités infinies.


Place au père !

Toujours dans cette veine de l'autobiographie familiale, JeanLouis Tripp s'attaque à un autre monument de sa vie : son père. Pour se comprendre, encore faut-il maîtriser ses origines, savoir d'où l'on vient, de qui on a appris à vivre en société. Parle-t-on avant tout de soi quand on entreprend de raconter la vie de son père ? Cette interrogation est omniprésente dans ces plus de 350 pages. La confrontation est parfois violente. Dans « Un père », l'auteur passe de l'admiration au rejet, de la joie simple à la tristesse infinie. Récit forcément subjectif, le roman graphique a pour cadre les lieux qui ont compté dans la famille : les petits villages du Tarn-et-Garonne, affectations des parents, Francis et Monique Tripier, instituteurs, la Cerdagne et la maison de vacances, les Corbières et le bord de la Méditerranée. Un des premiers souvenirs de Jean-Louis, ou du moins une des premières histoires que sa mère lui a raconté des dizaines de fois date de ses 1 an et demi. Ils sont en vacances chez ses grands-parents, à Mont-Louis en Cerdagne dans le chalet, véritable cœur battant de la famille. Laissé seul sans surveillance, le petit Tripier fait sa première fugue. Quelques heures dans les bois, au bord de la rivière, provoquant une belle panique. Retrouvé intact et sourient par deux jolies randonneuses.


Une entrée en matière très douce, positive. La suite est parfois plus compliquée. Notamment quand Jean-Louis, adolescent, rêve qu'il tue son père et l'enterre. D'où vient cette violence ? Des fessées reçues quand il était gamin et n'obéissait pas ? Ou plus simplement à un banal rejet de la figure paternelle à laquelle on refuse de ressembler ? Pourtant il a de nombreux bons souvenirs avec son père. Quand ils lui apprend à faire du ski, toujours en Cerdagne. Quand ils jouent au rugby. Quand il lui achète Vaillant, le journal communiste à destination des jeunes, là où JeanLouis Tripp découvre la bande dessinée. Quand ils visitent ensemble la Roumanie, pays communiste vénéré par ce père refusant longtemps d'abandonner son rêve universaliste et soviétique. Mais il y a aussi les mauvais jours, quand il se met en colère, cassant la vaisselle, faisant des scènes à sa femme devant les enfants. Un couple progressiste, de gauche, mais qui n'a pas évité la déchirure, le divorce.

Comme souvent, les relations se distendent. Le fils et le père se voient moins. JeanLouis Tripp, dans des pages d'une extrême sensibilité, s'interroge sur la vision que son père avait de ce fils, dessinateur, mais aussi professeur comme lui, dans une université au Canada.

Aujourd'hui, JeanLouis Tripp n'a plus de père. Sa mère aussi est morte. C'est paradoxalement le moment qu'il a choisi pour revenir vers le bercail familial. Installé à mi-temps puis totalement depuis l'an dernier, dans les Corbières audoises, c'est en partie là qu'il a imaginé et dessiné l'histoire de ses proches. Son histoire aussi. Dans ce Sud qu'il aime tant, entre montagne et mer, avec la garrigue au milieu. Des paysages que l'on retrouve en fin de ce roman graphique dans la scène sans doute la plus émouvante, du chalet à la mer, avec la Têt pour ultime voyage.

« Le petit frère », Casterman, 344 pages, 28 €

« Un père », Casterman, 360 pages, 28 €

vendredi 12 septembre 2025

Thriller - Une vengeance vieille et implacable

A chaque cadavre son indice. Puzzle macabre pour le profileur suédois  Sebastian Bergman dans « Le fardeau du passé » de Hjorth et Rosenfeldt.

Débutées en 2011, les aventures de Sebastian Bergman comptent désormais 8 titres. Tous réédités ou édités par Actes Sud et Babel Noir. Le nouvel opus, « Le fardeau du passé », arrive dans les librairies pour cette rentrée littéraire. On peut tout à fait le lire sans avoir découvert les sept précédents, mais on y « divulgache » forcément les intrigues des précédents romans tant les deux auteurs, Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt, manient avec brio les ressorts du feuilleton. Pas étonnant quand on sait qu'ils ont débuté dans la production de séries télé policières en Suède, pays qui s'est imposé dans ce genre. 

On retrouve au centre du thriller le fameux psychologue et profileur Sebastian Bergman. Un peu plus de 60 ans, toujours aussi séducteur et amateur de jolies femmes. Il a cependant un peu levé le pied sur son « addiction au sexe » depuis qu'il est grand-père. Une petite fille qu'il va parfois chercher à la sortie de l'école maternelle, quand sa mère, Vanja Lithner, chef de la brigade criminelle de Stockholm, le lui demande. 

Sa relation avec Vanja s'apaise depuis qu'il a décidé de ne plus travailler pour son service. Pas pour longtemps cependant. La policière d'élite, dont le service est sur la sellette, récupère une affaire complexe. Une femme assassinée est découverte dans une ferme porcine. Sur les murs cette phrase inscrite en peinture rouge « Résous ça Sebastian Bergman ». Sebastian et Vanja vont donc de nouveau enquêter de concert. Rapidement, un second meurtre, avec une nouvelle énigme à la clé, les oblige à aller très vite. Quitte à s'affranchir de quelques règles légales. La tempête reprend de plus belle dans le service et ils ont fort à faire pour rester à leur poste tout en traquant un meurtrier vicieux et très retors, comme seuls les grands de la littérature nordique savent les imaginer. 

Enquête mouvementée sur laquelle se greffe plusieurs intrigues annexes, explications des romans précédents ou pierres posées pour les prochains épisodes. Il y est question de ce « maudit Billy », ancien collègue de Vanja mais aussi tueur en série attendant son procès, d'une jeune Australienne à l'identité incertaine ou de l'arrivée d'une nouvelle enquêtrice, belle et effrontée : tout pour plaire à Sebastian.   

« Le fardeau du passé » de  Hjorth et Rosenfeldt, Actes Sud, 400 pages, 23,50 €

jeudi 11 septembre 2025

Thriller – Le diamant de l'apocalypse

Alexandre Murat est un érudit. Sa parfaite connaissance de l'histoire napoléonienne lui a donné l'envie de partager son savoir. Mais au lieu de pondre des études savantes, il a utilisé ces faits parfois extraordinaires pour alimenter en rebondissements des thrillers haletants. Pour se plonger dans l'Histoire, deux héros : Alex et Mary. Un couple. Lui universitaire, elle femme d'action. Pour cette nouvelle enquête, le voyage dans le temps est plus profond. Alex et Mary se lancent à la recherche d'un diamant façonné en 1492 en pleine inquisition espagnole. Sur cette pierre unique, inestimable, est gravée la clé permettant de retrouver un parchemin révolutionnaire pour l’Église catholique. Une secte de fanatiques, espérant la fin du monde, l'Apocalypse, quitte à la provoquer, désire aussi posséder aussi ce diamant. Des USA à Anvers, en passant par Rome, Munich ou l'abbaye de Montserrat en Catalogne, un thriller passionnant par « le Dan Brown français » selon Philippe Labro.

« La prophétie du diamant », Alexandre Murat, Fleuve Noir, 336 pages, 20,95 €

dimanche 31 août 2025

BD - Les jeunes tribus d'un futur apocalyptique


Littérature, cinéma, séries télés et BD : l'imaginaire américain est particulièrement pessimiste quand il doit décrire la vie quotidienne d'ici quelques dizaines d'années. Nouvelle pierre à l'édifice avec les deux premiers tomes de la série écrite par Matthew Rosenberg et dessinée par Tyler Boss : "C'est où le plus loin d'ici ?" Première mise en orbite fin août pour la rentrée littéraire, tir de confirmation du second étage le 10 septembre. La suite (et fin a priori) pour plus tard. Si on est encore en vie... Car lire ces 272 pages (tome 1) puis 152 pages (tome 2) entraîne obligatoirement un peu de spleen. Les plus sensibles pourraient décider de se faire sauter le caisson. Surtout si l'on a plus de 25 ans... 

Dans ce futur aux décors urbains en ruines, les rares rescapés vivent en bande. En tribus. Les membres sont solidaires, comme issus d'une même famille. Et entre elles, la paix peut régner, mais souvent les affrontements viennent éclaircir les rangs. La particularité de ces tribus : il n'y a que des jeunes. Quand un membre devient adulte, il est éjecté, récupéré par de mystérieux "étrangers", les éléments les plus fantastiques de cette BD pourtant très réaliste. 

Pour comprendre ce nouveau monde, les auteurs racontent le quotidien de la bande du Collège. Ils tiennent leur nom du bâtiment dans lequel ils vivent. Ils ont des chefs et une religion. Chacun se choisit un Dieu. En l'occurrence un disque vinyle pioché dans la discothèque de l'établissement scolaire. 

La jeune Sid se pose beaucoup de questions. Depuis quelques semaines son ventre s'arrondit. Elle sent que cette transformation va bousculer son quotidien. Alors elle choisit de fuir, de tenter l'aventure. Elle a une carte dessinée à la main montrant le chemin pour rejoindre la ville, sorte d'Eden où l'on peut vivre sereinement, même adulte.

La BD, assez sombre, montre un pays qui s'est effondré. On ne sait pas pourquoi, mais ce retour aux instincts primaires s'est effectué au détriment du confort. Les amis de Sid, en tentant de la retrouver pour l'aider, croisent d'autres bandes. Certaines vont coopérer, d'autres en profitent. La violence est quotidienne, la peur aussi. Chacun trouve une façon de survivre. 

Sid va intégrer une nouvelle tribu presque plus animale qu'humaine. Les autres vont échouer dans une fête foraine trash et gore. Lentement mais sûrement, le périple se transforme en succession de cauchemars. Cela pourrait être rebutant. C'est en fait passionnant et édifiant sur l'état d'esprit de cette nation, les USA, qui semble sans cesse chercher le meilleur moyen pour précipiter sa chute. 

"C'est où le plus loin d'ici ?" de Matthew Rosenberg et Tyler Boss, Casterman, volume 1, 272 pages, 23 €, volume 2, 152 pages, 18 €

samedi 30 août 2025

Roman noir - Au Sud, la résignation

Bienvenue dans le Snakefoot, région du sud des USA, zone sinistrée théâtre de « Nulle part où revenir », roman de Henry Wise.

Devenir l'adjoint du shérif d'une petite ville rurale de Virginie semblait la meilleure solution pour Will Seems. Il connaît la région pour y avoir passé toute son enfance. Il l'a quittée, comme la majorité des jeunes, pour la grande ville en plein essor de Richmond. Pourquoi alors revenir à Euphoria, près du sinistre marécage de Snakefoot, dans la maison presque en ruines abandonnée par son père devenu avocat ?  Premier roman de Henry Wise, « Nulle part où revenir » est une plongée angoissante et perturbée dans l'esprit de Will. Il n'est pas le narrateur, mais le principal protagoniste de ce roman noir entre ségrégation raciale, violence au quotidien et misère sociale. 

Alors qu'il vient de passer la nuit dans sa voiture au bord de la rivière, Will voit de la fumée au loin. Il se précipite et découvre la maison de Tom Janders en flammes. Il parvient de sortir son ami d'enfance du brasier, mais trop tard. Le shérif Mills arrive sur place pour tenter de réconforter la compagne de Tom, Day Pace : « Elle hurlait, semant son chagrin derrière elle comme une traînée de sang ou de mort. (…) Il la ceintura et elle continua à se débattre, si bien que, pendant un moment, ils semblèrent danser un pas de deux hébété. » Avec une science de la narration étonnante pour un premier roman, Henry Wise distille les indices, présente les protagonistes, intrigue le lecteur. 

Le traumatisme de l'enfance

Will semble perdu dans cette ville qu'il a violemment rejeté à une époque. C'est pourtant son univers, sa base, ses racines. Là qu'il a vécu heureux quelques années, quand sa mère était toujours en vie, avant que son meilleur ami, Sam, ne se fasse littéralement lyncher après avoir tenté de le défendre face à une bande de voyous. Le suicide de sa mère, la fuite de son père, la bienveillance des voisins, les parents de Sam... Will rumine sa culpabilité. Qui va augmenter d'un cran quand il surprend le père de Sam fuyant l'incendie et qu'il comprend que Tom a été tué de plusieurs coups de couteau avant l'embrasement de sa maison. 

Un meurtre, un innocent à sauver, des secrets à garder : le récit devient aussi touffu que la végétation luxuriante de ce Sud infesté de redoutables serpents (mocassins à tête cuivrée) et de marécages entre les immenses champs de tabac. Aidé d'une ancienne policière devenue détective privée, Will va pister le véritable meurtrier, comme pour tenter de trouver une nouvelle raison pour continuer son chemin dans cette région ravagée par des décennies de racisme et d'exploitation des esclaves noirs par les planteurs blancs. L'histoire de Will, Day, Sam et tous les autres, tragique et désespérée, semble le résumé parfait de cette Amérique toujours déchirée par des siècles d'injustice.

« Nulle part où revenir », Henry Wise, Sonatine, 432 pages, 23 €

vendredi 29 août 2025

Roman - Survol du Brésil en famille

A bord d'un avion bimoteur, un père et son fils traversent le Brésil, survolant cet immense pays, trésor écologique déjà malmené au cours de la seconde partie du 20e siècle, période durant laquelle se déroule ce périple raconté par Bernardo Carvalho. 

Ce sont les souvenirs de l'enfant de 11 ans qui permettent au lecteur de découvrir ce père peu banal. « Quand je rentre dans les églises, les saints sortent en courant » aime-il répéter. Profitant de la dictature militaire, cet entrepreneur fait fortune. Il récupère des forêts, les rase pour les transformer en prairies. L'enfant, son radical opposé, aime lire et rester silencieux. Ce roman, sans doute abreuvé de souvenirs personnels, aborde nombre de problématiques. La plus forte restant la relation père-fils, forcément compliquée, jamais idéale. 

Même si la complicité reste forte comme cette fois où le père, pris d'une violente crise de paludisme, confie les commandes de l'appareil à son fils de 11 ans qui n'avait jamais piloté un avion avant.   

« Le remplaçants », Bernardo Carvalho, Métailié, 208 pages, 21 €


jeudi 28 août 2025

BD - Les souvenirs d'un grognard de Métal Hurlant


Dominique Hé a plus que l'âge requis pour prendre sa retraite. Pourtant ce dessinateur, après avoir débuté dans les années 70 à Pilote, continue de publier des albums de BD. Classiques comme son polar historique "Chiens et loups" avec Noël Simsolo au scénario. Mais avec "La porte ouverte", il se risque dans un genre très différent : les souvenirs de jeunesse. Plus de 120 pages pour raconter ses débuts dans le monde de la bande dessinée, notamment quand il intègre les pages de Métal Hurlant sous les bons auspices de Moëbius et Dionnet. 

Une histoire qui devrait passionner tous les passionnés qui ont vécu la découverte de cette revue du côté des lecteurs. Une mine d'informations, la possibilité de passer derrière le décor. Et les plus jeunes découvriront un monde étrange dominé par ces génies que sont Jean Giraud, Druillet, Mézières. Des auteurs confirmés qui aiment donner des conseils aux "petits jeunes" tentant de percer dans le milieu. Dominique Hé en fait partie avec Loisel, Juillard, Le Tendre et tant d'autres devenus depuis des signatures reconnues.


Avant de croiser le chemin de Gir, Hé raconte comment, persuadé d'être un grand peintre, il tente sa chance aux Beaux-Arts. Rapidement, il découvre que ce n'est pas pour lui. Mais comme il est installé à Paris, il poursuit ses études à l'université de Vincennes. Une marmite bouillonnante aux mains des anciens soixante-huitards. Nouvelle désillusion pour le jeune Hé : ce n'est pas là qu'il apprendra les ficelles du métier et à faire progresser son trait. Jusqu'à ce qu'il découvre une porte ouverte, un soir. C'est dans cette pièce que Jean Giraud, célèbre pour dessiner les aventures de Blueberry, donne un cours hebdomadaire à Vincennes. Hé va s'infiltrer, écouter, se passionner et finalement montrer des dessins au maître. Après une critique sévère, le génial créateur de John Difool lui confie des scénarios d'histoires courtes. Les premières publications de Dominique Hé dans le Pilote de Goscinny. Et puis il suivra Giraud devenu Moëbius à Métal Hurlant et, contre l'avis de Manoeuvre mais grâce à l'appui de Dionnet, lancera sa série, Marc Mathieu. 

Avec beaucoup d'humour, parfois un peu de méchanceté, Dominique Hé retrace son parcours dans un milieu fermé et souvent bourré de chausse-trapes. On apprécie l'émergence de toute une génération d'auteurs passés par le cours de Giraud, l'atelier de Moëbius ou les pages de Métal Hurlant. Une certaine idée de la BD, qui pourrait paraitre datée pour certains jeunes, mais qui osait tout en des temps où il était encore interdit d'interdire. 

"La porte ouverte", Dominique Hé, Glénat, 120 pages, 23 €

mercredi 27 août 2025

BD - "Le jour où...", une série pour s'accepter et se bonifier


Pas de grande aventure ni de rebondissements spectaculaires dans les albums de la série "Le jour où...". Béka et Marko (scénario et dessin), tentent plus simplement de nous faire comprendre la vie. Celle de tous les jours, le quotidien qui parfois nous étouffe. Une BD feel good, sans prétention mais qui fait du bien à ceux qui savent s'ouvrir au monde. 

Déjà le 9e tome pour un concept qui semblait assez étrange lors de son apparition (en septembre 2016) dans les bacs des libraires entre les gags pour gamin attardé, l'héroïc fantasy pulpeuse et les polars, noirs, forcément noirs. Au centre de ce nouveau titre, Chantal, déjà vue dans de précédents épisodes. Une romancière. Elle aligne les succès. Sa série cartonne. A chaque rentrée littéraire, son éditeur et ses lecteurs sont impatients. Or, depuis quelques mois, Chantal a perdu le goût d'écrire. Elle est sèche. La page reste blanche. Pire, l'envie de rien. Et rapidement la dévalorisation, l'auto dénigrement. Elle a la nouvelle intrigue en tête, mais n'arrive pas à se lancer dans l'écriture. Elle n'ose pas le dire à son éditeur. 


La seule avec qui elle accepte de se confier c'est Clémentine, la libraire, jeune femme à l'originaire de la série BD depuis qu'elle a "laissé partir le bus sans elle". Clémentine toujours à l'écoute et de bon conseil, suggère à Chantal de faire un break. L'autrice va donc squatter la belle demeure d'amis vivant à la campagne. Et tout en acceptant enfin de laisser tomber la pression, elle va participer à des stages d'éveil à la création et se balader en forêt. C'est entre deux chênes centenaires qu'elle rencontre une femme mystérieuse. Inconnue dont les conseils donnent tout le sel à cet album, un peu théorique par moment. Marko, le dessinateur, a dû développer des trésors d'ingéniosité pour transformer ce discours très intellectuel en scénettes faciles à comprendre, belles et épanouissantes. 

Une BD forcément réservée à un certain public, celui qui croit aux forces de l'esprit. Les matérialistes et autres ambitieux risquent carrément l'apoplexie en découvrant la leçon de l'inconnue des bois.   

"Le jour où elle s'est laissé le temps", Bamboo, 60 pages, 16,90 € 

samedi 23 août 2025

Roman - L'amour, valeur dépassée ?

Jolie variation littéraire sur les vicissitudes de « L'amour moderne » par Louis-Henri de La Rochefoucauld. 

Sous une brillante couverture signée Floc'h, Louis-Henri de La Rochefoucauld, critique littéraire à l'Express, explore ce qu'il reste de l'amour au XXIe siècle. L'amour, à l'heure des nouvelles technologies, est-il moderne ? Pas tant que cela finalement. D'autant que l'auteur se consacre surtout aux amours d'hommes et de femmes du siècle dernier. Ou du moins qui ont débuté leur parcours d'adultes amoureux, à la fin du XXe. Et sans surprise, on se retrouve avec le classique (et pas moderne pour un sou), ménage à trois : le mari, l'épouse et l'amant. 

Ivan, écrivain par accident, marié par hasard, divorcé par raison, vivote dans Paris, alignant les pièces de théâtre légères et les succès. Un confort matériel qui lui permet de faire une pause dans sa production. En réalité, cela fait un an qu'il n'arrive plus à écrire, de plus en plus obsédé par un fait divers qui a bouleversé son enfance. Ivan, contacté par Michel, riche et très influent producteur. Il voudrait qu'il écrive un petit chef-d’œuvre pour son épouse, la célèbre actrice Albane, retirée des plateaux depuis de trop longues années après avoir tout remporté, de la palme d'interprétation à Cannes en passant par un oscar et quantité de césar. Michel considère Albane comme sa « chose ». 

Cette dernière, exemple même de la femme désirant s'émanciper, a repris des études et cherche plus de spiritualité dans la vie. Ivan, peu habitué aux commandes, est récalcitrant. Mais quand il apprend qu'Albane, un peu plus âgée que lui, est directement liée au drame qui le hante toujours, il accepte l'offre. Juste pour en apprendre un peu plus. La malice du romancier transforme cette relation de travail en cour subtile et délicate. Comme quoi, même moderne, l'amour ne s'épanouit pas sans un minimum d'effort. 

Un texte érudit, brillant, léger ; parfait pour comprendre les subtilités de cette étonnante alchimie qui provoque une attirance irrépressible entre deux êtres humains. L'occasion aussi de découvrir les pratiques de ce milieu culturel parisien, souvent boursouflé d'orgueil et de vanité, mais qui parfois est à l'origine d’œuvres mémorables.    

« L'amour moderne » de Louis-Henri de La Rochefoucauld, Robert Laffont, 256 pages, 20 €


vendredi 22 août 2025

Roman – Road-trip féministe au Chili

Originaire du Chili mais vivant en France depuis des années, Nicole Mersey Ortega est blonde. Comme le personnage principal de son premier roman aux accents destroy. La jeune narratrice vit dans une favela de Santiago, mais elle ressemble à une touriste occidentale. La faute à un père français. Qui l'a abandonnée. A l'ombre d'une montagne d'ordures, elle rêve d'évasion, de fête dans le Nord. Avec deux amies, elle économise et fugue. 

Un périple de plus de 1000 kilomètres, vers une fête légendaire à Iquique. Roadtrip agité et surtout très risqué. Dans ce Chili des années 90, la police est corrompue et féroce. Les femmes ne semblent être que de la chair fraîche pour des hommes violents. De plus, un serial killer sévit sur la nationale 5, cette route qui traverse un désert interminable. Le trio a souvent se faire peur. Le lecteur redoute une fin brutale. Mais une vierge noire, ou une dame blanche, semble veiller sur les filles. 

Elles vont vivre des moments épiques (la scène du match de foot à Calama marque les esprits), de grandes frayeurs et quelques désillusions. Le tout raconté dans une langue moderne et vivante, celle des femmes libres, uniquement armées de leurs mots pour repousser les violeurs, tueurs et autres nuisibles.

« Même le froid tremble », Nicole M. Ortega, Editions Anne-Carrière, 176 pages, 19 €