mardi 19 novembre 2024

Cinéma - “Sur un fil”, quand le rire lutte contre la maladie

Une acrobate, blessée, tente une reconversion en clown pour enfants malades. « Sur un fil », premier film sensible et très émouvant du comédien Reda Kateb.

On se croit trop souvent indestructible. Jo (Eloïse Sauvage), acrobate, passe des heures à répéter son numéro. Accrochée à sa corde à dix mètres au-dessus du sol, elle multiplie les figures. Elle est confiante. Un peu trop. Mais il suffit d’une demi-seconde d’inattention pour que tout soit remis en cause. Chute, jambe cassée, chômage. Mais pas d’indemnité pour cette intermittente du spectacle.

Elle n’a pas assez d’heures pour bénéficier de cette protection sociale. Alors, claudicante entre ses deux béquilles, elle va tenter une reconversion sur les conseils de son ami Gilles (Philippe Rebbot) : clown pour enfants hospitalisés. Si elle prend ça un peu à la légère, elle va vite découvrir un monde totalement différent.

Un monde où le public est en souffrance, où le rire a déserté les existences de ces petits malades, espérant guérir, redoutant la mort sans avoir presque rien connu de la vie.

La vie à l’hôpital

Pour son premier film en tant que réalisateur, Reda Kateb n’a pas choisi la facilité. Car il a l’ambition avec Sur le fil d’allier la comédie et l’émotion. Un pari souvent risqué, mais qui fonctionne à merveille dans ce cas précis. S’appuyant au plus près de l’expérience d’une véritable association, le cinéaste a soigné son casting. La dinguerie habituelle de Philippe Rebbot trouve son utilité quand il devient M. Poireau, le comparse de Roger Chips (Jean-Philippe Buzaud), véritable clown, formidable acteur.



Et pour découvrir ce milieu, Aloïse Sauvage distille naturellement grâce et tendresse. En devenant Zouzou, sorte de clown libellule au grand cœur, elle va réussir à rendre le sourire à Yacine (Massil Imine), gamin courageux, supportant les durs traitements pour vaincre une leucémie. L’émotion est vite au rendez-vous. Et malgré les pitreries du trio dans les couloirs ou dans l’intimité des chambres, le rire laisse parfois la place aux larmes.

Un film à portée sociale aussi, car il plonge le spectateur dans le quotidien de ces soignants (Sara Giraudeau en infirmière efficace et pleine d’empathie) souvent débordés par une masse de travail astronomique et des moyens humains de plus en plus limités. Eux aussi, sont Sur le fil toute la journée.


Film de Reda Kateb avec Aloïse Sauvage, Philippe Rebbot, Jean-Philippe Buzaud, Massil Imine

Reda Kateb : « Je me dévoile énormément dans ce film »

Venu en septembre dernier présenter son film en avant-Première au Méga CGR et au Méga Castillet, Reda Kateb avait fait le déplacement en compagnie de l’inspiratrice de son premier long-métrage, Caroline Simonds, fondatrice de l’association « Le Rire Médecin ».

Ensemble, ils ont expliqué la genèse de ce beau projet. « Même si je n’apparais pas à l’écran, souligne Reda Kateb, ce film me ressemble. Je me dévoile énormément, j’y ai mis un peu tout ce que je suis. C’est le milieu dans lequel se déroule l’histoire qui m’a inspiré. La plongée dans le monde des clowns à l’hôpital et un terrain où les personnages ne sont dans aucune posture, à nus, quand on n’est plus sur nos appuis et que la vie tient à pas grand-chose parfois. La maladie de l’enfant peut nous laisser désemparés mais elle est aussi vécue, avec le regard des clowns, dans une dimension autre que l’anxiété que je pouvais avoir avant de découvrir ce monde à l’hôpital. »

Pour Caroline Simonds, ce « film est le résultat d’une rencontre il y a plus de quatre ans grâce à mon livre* et d’un dialogue quotidien depuis. »

Une mutuelle compréhension et entraide essentielle pour Reda Kateb : « Je suis très heureux du retour des gens qui travaillent dans ce domaine et qui ont, d’une certaine manière, validé mon geste. C’est très important pour moi car je ne voulais pas les trahir. Jean-Philippe Buzaud, qui est clown à l’hôpital et qui a un des rôles principaux du film, m’a dit qu’il le vivait comme une forme d’hommage, de compréhension de leur métier. Mais je n’ai pas d’attente particulière si ce n’est de toucher les gens avec ce film. »

* « Le journal du docteur Girafe », éditions Thierry Magnier, 22 €

lundi 18 novembre 2024

En vidéo - “Au p’tit zouave”, la vie dans un bistrot parisien dans les années 50


Bienvenue au P’tit zouave, bar parisien typique. Un établissement qui sert de décor à ce film de Gilles Grangier, restauré par Pathé et à redécouvrir en DVD ou Blu-ray.

Unité de lieu et de temps, ce film en noir et blanc à la distribution prestigieuse (François Périer, Dany Robin, Marie Daëms, Jacques Morel) montre au public le quotidien d’un petit café de la capitale. Les personnages défilent. C’est pittoresque et comique au début, mais une intrigue policière vient chambouler la quiétude des lieux.

Trop longtemps considéré comme un cinéaste classique et mineur, Gilles Grangier est en réalité un excellent observateur de la vie quotidienne. Cette restauration propose en bonus des reportages sur trois des comédiens, François Périer, Dany Robin et Robert Dalban.

dimanche 17 novembre 2024

Thriller - Les Pyrénées, théâtre de l’angoisse

Une forêt primaire dans les Pyrénées. Des disparitions. Un village isolé et des rumeurs. Jérôme Camut et Nathalie Hug plongent leurs héros dans un univers angoissant, même s’il est « Loin de la fureur du monde ». 

La Mâchecombe. Un plateau, une forêt, des montagnes dans les Pyrénées entre Ariège et Aude. « Par temps clair, le regard portait de la plaine des Pyrénées jusqu’aux remparts de la cité de Carcassonne. » Le cadre est rapidement posé par Jérôme Camut et Nathalie Hug, auteurs de nombreux thrillers. C’est dans ce village et cette forêt protégée de Mâchecombe que l’action du roman se déroule. Un monde à part où tout le monde se connaît, où les rumeurs et légendes tiennent une grande place dans le quotidien des rares habitants.

En ce 15 août, Alix Ravaillé se consacre à son traditionnel pèlerinage. La jeune femme, récemment intégrée dans la police municipale de la commune dirigée par son père, Robert, vient déposer des fleurs là où sa mère aimait se recueillir. Cette dernière a trouvé la mort dans la montagne 8 ans auparavant. Un accident de VTT. Ce n’est pas la première qui meurt dans cette forêt. Mâchecombe a mauvaise réputation. Un massif maudit. Encore plus depuis que l’essentiel de la zone boisée est préservé pour un retour à l’état primaire.C’est l’essentiel de la mission de Robert, son adjoint Christophe et Alix. Mais en plus des ours, loups et autres prédateurs, un monstre se cacherait dans les bois. Dandelombe selon Noa, le petit frère d’Alix. Mi-homme mi-bête, géant et furtif, il fait peur aux locaux, mais n’empêche pas des orpailleurs de saccager la nature pour récupérer quelques grammes d’or. Au cœur de l’été, alors que des orages coupent les routes, des cadavres sont retrouvés dans un camp de fortune. Et Christophe disparaît. Alix, qui l’aime en secret, va tenter de le retrouver. Seule dans cette forêt primaire : « Il ne subsistait de la civilisation qu’une route forestière piquée de nids-de-poule et envahie d’herbe et de fougères qu’Alix emprunta pour rallier son objectif, situé au cœur de la zone protégée. » Mais elle n’est pas si seule et vient, sans s’en douter, de pénétrer sur le territoire de chasse de John, le véritable maître des lieux.

De simple polar en milieu clos, le roman prend des connotations fantastiques. Car longtemps on se demande ce qu’est véritablement ce John, qui se prétend « Dieu de l’ombre » que Noa a transformé en Dandelombe. Alix disparaît à son tour et son père mène l’enquête. Mais il se sent démuni, impuissant : « Autour de lui, les gens n’étaient pas pires ou meilleurs qu’ailleurs. La différence, c’était que, dans ces campagnes reculées, chacun en savait un peu trop sur tout le monde. C’était pratique dans certains cas, étouffant dans d’autres. » Et malgré cette promiscuité, certains secrets restent bien gardés.

Ce roman, très angoissant quand on est aux côtés d’Alix, prisonnière dans la tanière de John, être primitif aux réactions bestiales, est aussi l’occasion pour les auteurs de développer un message écologiste. Même en voulant préserver une forêt, on perturbe la nature. L’homme, du fait même de son existence, détruit son environnement. Une évidence dont on prend un peu conscience en refermant ce thriller finalement plus optimiste qu’il n’y paraît.
« Loin de la fureur du monde », Jérôme Camut et Nathalie Hug, Fleuve Noir, 496 pages, 21,90 €

samedi 16 novembre 2024

Littérature française - Comment un roman « Cucul » peut-il nous faire réfléchir ?

Écrire des comédies romantiques peut-il servir la cause du féminisme ? Camille Emmanuelle aborde le problème frontalement dans « Cucul ». 


Les plus anciennes lectrices se souviennent de la collection Harlequin. Des romans à l’eau de rose, à l’intrigue souvent très cucul, parfait pour oublier son quotidien de ménagère de moins de 50 ans accaparée par les tâches ménagères. C’est devenu au fil des décennies de la littérature romance. Rien de bien neuf, juste un peu plus de luxe et de rêve en boîte. Camille Emmanuelle, scénariste et journaliste, signe avec Cucul un roman très pertinent. Elle semble parfaitement connaître ce milieu littéraire assez particulier.

Son héroïne, Marie Couston, prof de français dans un lycée catholique, se transforme la nuit en auteure. Mais les modes évoluent et son éditrice lui demande de changer de genre. Le rose s’efface au profit du noir : place à la dark romance. Marie a un gros problème de conscience. Rajouter de la violence dans des scènes d’amour, c’est forcément cautionner le viol.

Alors elle décide de tout plaquer et dans un ultime chapitre écrit après une nuit alcoolisée, elle fait mourir son héros, James Cooper. Le lendemain matin, en plus d’une gueule de bois, elle découvre que son bellâtre a pris vie dans la réalité et squatte son canapé. Un James totalement déconnecté de la réalité, caricature du beau gosse qui, soi-disant, les fait toutes craquer. Il ne comprend pas son arrivée chez Marie.

Elle lui explique alors que « pour l’instant vous êtes un mâle alpha aux tendances BDSM. Là on me demande de faire de vous un psychopathe, mais attention, un psychopathe sexy ! » Ce qu’elle refuse catégoriquement.

Le roman se transforme alors en brûlot contre les clichés de genre, la banalisation de la violence masculine dans les romans à la mode et une ode aux bêtes comédies romantiques, certes limitées en ce qui concerne le message politique et la qualité littéraire, mais essentielles pour s’évader quelques heures et mieux profiter, après coup, de sa propre réalité.

« Cucul », Camille Emmanuelle, Seuil - Verso, 304 pages, 19,50 €
 

vendredi 15 novembre 2024

Des poèmes : Paul Eluard illustré par Kiki Smith


Superbe objet que ce livre d’art réunissant les poèmes de Paul Eluard et des œuvres de Kiki Smith. Un must pour les amateurs de poésie et d’art contemporain, parfait présent à glisser dans les cadeaux de fin d’année.
Paru initialement en 1929, ce recueil de poésie connaît donc une seconde jeunesse grâce aux illustrations de l’artiste américaine Kiki Smith.

Celle qui a pour credo « Soyons attentifs à la nature », propose des œuvres protéiformes donnant encore plus de profondeur aux mots du poète.
« L’amour la poésie », Paul Eluard et Kiki Smith, Gallimard, 176 pages, 45 €

jeudi 14 novembre 2024

Un atlas : L’histoire des frontières


Qui n’a pas passé des heures à rêver sur ces cartes du monde ? Multitude de pays séparés par des frontières. Cet atlas coordonné par Delphine Papin et Bruno Tertrais, raconte l’évolution de ces frontières au fil des siècles. Cela permet de mieux comprendre les enjeux actuels.

Deux gros chapitres sont consacrés à l’Ukraine et au Proche-Orient. Dans le premier cas, on devine pourquoi la Russie, longtemps hégémonique dans la région, a de nouveau des vues sur cette partie de l’Europe, déjà au centre de nombreux conflits auparavant. Le cas d’Israël, de la Palestine et du Liban, est là aussi détaillé avec minutie.

« L’atlas des frontières », Les Arènes, 200 pages, 27 €

mercredi 13 novembre 2024

Un collector : Les Fourmis


Le roman Les Fourmis de Bernard Werber a 33 ans. Un succès planétaire qui avait débuté plus de dix ans plus tôt. Car le romancier a mis 12 ans au total pour rédiger le texte final. Dans une longue préface ouvrant cette édition collector, il révèle qu’il en a écrit 24 versions différentes. Un exemple pour tous les apprentis écrivains persuadés de pondre un chef-d’œuvre dès leur premier jet.

Cette édition des Fourmis, format poche à la couverture cartonnée, propose de nombreuses gravures datant des années 20. Et surtout, les petites bestioles sont imprimées sur la tranche du livre et circulent sans cesse au bas de toutes les pages. Du plus bel effet.
« Les Fourmis », Bernard Werber, Le Livre de Poche, 416 pages, 14,90 €