jeudi 17 avril 2025

Biographie – Olympe de Gouges, visionnaire


Longtemps oubliée par les historiens, Olympe de Gouges est revenue sur le devant de la Révolution française ces dernières années quand un certain féminisme a de plus en plus eu l'occasion de se faire entendre. Cette année, la révolutionnaire, première à revendiquer l'égalité entre hommes et femmes, était doublement dans l'actualité. D'abord grâce au film de Julie Gayet, tourné en Occitanie et diffusé sur France Télévisions. 

Ensuite par cette biographie signée Florence Lotterie et Elise Pavy-Guilbert, deux historiennes qui ont tenté de raconter le combat et la vie (brève) de cette Montalbanaise devenue célèbre à Paris. On apprend notamment qu'Olympe ne se battait pas que pour les femmes. Elle était aussi du côté de tous les exclus, en raison de leur précarité ou de leur couleur. Elle tenait salon et placardait des journaux dans les rues de la capitale. 

Rapidement elle s'est retrouvée enfermée, victime des purges. Une fin de vie entre quatre murs, malade mais digne. Jusqu'à ce 3 novembre 1793 où elle est exécutée en place publique. 

Moins romantique que le film ou les célébrations féministes, la vie de cette lanceuse d'alerte avant l'heure prouve que les convictions payent. Même s'il faut attendre quelques siècles.

« Olympe de Gouges, une femme dans la Révolution », Flammarion, 176 pages, 22 €

mercredi 16 avril 2025

Littérature fantastique - Les Cartographes chassent les erreurs

Experts en cartes anciennes, les Cartographes découvrent un secret caché derrière une banale erreur : certains villages imaginaires peuvent parfois devenir réels.


Qui n'a pas rêvé en parcourant une simple carte routière ? Imaginer des vies en découvrant des noms de village dont on ne connaissait pas l'existence ? Une carte, c'est le début du voyage, vers de nouveaux paysages, l'inconnu, des aventures, des rencontres. Tout un monde contenu dans une feuille de papier plié et parfois oubliée depuis des années au fond de la boîte à gants d'une voiture.

Peng Shepherd, jeune romancière américaine, a passé de longues heures à sillonner des contrées inconnues à l'aide de cartes. Des pays réels, d'autres imaginaires. Et son roman Les Cartographes débute exactement à l'intersection des deux, quand un village fictif, ajouté dans une véritable carte de l'Etat de New York en 1930, devient réel pour les détenteurs de la carte erronée. Un postulat particulièrement troublant pour les professionnels. Car une carte doit reproduire, à la perfection, le monde mesuré, étalonné et répertorié par ces fameux cartographes.

Pour rajouter un peu de fantastique dans ce monde cartésien, l'autrice raconte la vie passionnée de la famille Young. D'abord Tamara et Daniel, deux étudiants, amoureux, mariés et parents de Nell. Le roman débute le jour où Nell, la trentaine, apprend la mort de son père. Retrouvé sans vie dans son bureau de la New York Public Library, immense bibliothèque, au milieu de son bureau sans dessus dessous. Nell était brouillée avec son père. Depuis plusieurs années. Elle raconte comment la découverte dans les dons à classer d'une simple carte de l'état de New York imprimée en 1930 a provoqué l'ire du paternel. Une carte qu'elle retrouve dans le tiroir secret du bureau de Daniel Young. Cachette qu'elle seule connait.

Avec son ancien petit ami, Felix, et quelques amis du père, Nell va étudier la carte et découvrir sa particularité : un village fictif, Agloe, a été ajouté. Et si Agloe, village chimère destiné à tromper les copieurs, existait réellement dans une autre dimension ? Le roman, de saga policière et familiale, devient variation fantastique permettant à tout le monde de rêver encore dix fois plus en parcourant une carte. A la recherche de son propre village d'Agloe.

« Les Cartographes », Peng Shepherd, Le Livre de Poche, 640 pages, 10,90 €

mardi 15 avril 2025

Roman graphique - La vie vaut-elle le coup d'être prolongée ?

Étrange roman graphique que ce "Prolongement" signé Gwendal Le Bec chez Casterman. Dans un futur proche, alors que dérèglement climatique a transformé la Bretagne en région méditerranéenne particulièrement agréable, Camille et Gloria sont sur le point de fêter chacun leurs 80 ans. Un couple heureux, vivant dans une grande maison, avec piscine, océan à proximité et jardin potager. Mais quand ils sont ensemble, on croirait plutôt à une jeune femme avec son grand-père. Dans ce futur où le cancer se guérit aussi facilement qu'une grippe, la médecine a mis au point un protocole de "prolongement". Une semaine dans une clinique spécialisée, et vous ne vieillirez plus durant les cinq prochaines années. Gloria est adepte de la méthode depuis des décennies. Camille a toujours refusé. 

Il a donc 80 ans, est barbu et bedonnant, elle en fait à peine plus de 35. Ils s'aiment pourtant dans cette société où les riches semblent exonérés de tout problème. Cependant la fortune de Gloria n'est pas immortelle elle. Pour assurer son prochain prolongement, elle doit vendre un restaurant. Et très vite. C'est Camille qui va se charger de régler l'affaire car les acheteurs sont toujours contents quand "un petit vieux peut les amadouer avec des souvenirs", dixit Gloria.

L'intrigue du roman graphique (comment payer le prochain prolongement de Gloria) n'est qu'un prétexte pour détailler les vies de ces deux habitants du futur. Camille est nostalgique d'une certaine époque. Il rejette les nouveautés, délaisse la technologie pour regarder, à la télévision linéaire, des feuilletons qataris en compagnie de sa voisine, elle aussi non prolongée et à ses yeux plus désirable que sa presque jeune femme. Gloria, elle, profite de ces progrès, même si souvent elle en devient l'esclave. 

Le dessin, très simple, aux couleurs pastels, essentiellement des bleus et des roses, donne un côté encore plus irréaliste à l'ensemble. La fin étonnera le lecteur, mais cela semble être une des caractéristique du style de Gwendal Le Bec : dire sans crier, conclure sans artifice.  

"Le prolongement", Casterman, 208 pages 25 €

lundi 14 avril 2025

BD - Spa 1906 : qui en veut à la princesse Clémentine ?


Du polar historique tendance chronique royale. Spa 1906, seconde enquête du commissaire Ansor, écrite par Patrick Weber et dessinée par Olivier Wozniak passionnera les Belges et intriguera les Français. En effet comment, Républicains purs et durs, s'intéresser et surtout saisir toutes les subtilités des petites intrigues de la cour belge ? Reste une BD délicieusement rétro, avec les dessins d'un artiste qui a longtemps été un pilier des éditions Dupuis et un scénariste qui a quelques Alix et Lefranc à son palmarès. 

Après une première aventure à Ostende, la ville où il officie officiellement, le commissaire Ansor quitte les rives de la mer du Nord pour les paysages vallonnés des Ardennes. Il se rend à Spa à la demande de la princesse Clémentine. 

Cette dernière est au centre de l'intrigue. Elle serait victime d'un chantage. Mais reste très discrète. Et le commissaire n'est pas curieux. Il est des cercles qu'il ne faut pas froisser... Par contre il enquête dans le milieu des notables de la célèbre station thermale. Et se retrouve face à une inquiétante épidémie de suicides. Un mystérieux "Pierre le Grand" réclame de jolies sommes d'argent. Qui est-il ? Pourquoi s'en prendre à la princesse et aux bourgeois de la ville ? 

Ansor, avec sa bonhomie habituelle (il passe beaucoup de temps à table et ne crache pas sur un petit flirt avec les gentilles demoiselles qui rentrent à Bruxelles en train), va lentement mais sûrement découvrir le pot-aux-roses. 

On est emballé par la reconstitution du Spa des grandes heures et par les portraits criants de vérité des personnages secondaires. Enfin, pour ne pas mourir idiot, le scénariste Patrick Weber, propose en fin d'album un dossier didactique sur la princesse Clémentine, Spa et, d'une façon plus générale, la royauté en Belgique.       

"Spa 1906", Editions Anspach, 64 pages, 16,95 €

dimanche 13 avril 2025

Roman – Elle est trop sensible

Pour son troisième roman paru aux éditions du Rouergue en mars dernier, Damien Ribeiro, grand barbu vivant depuis quelques années dans les Pyrénées-Orientales, change de camp. Il ose se pencher sur le sort des femmes dans notre société où, selon les prétendus oppressés par la sororité triomphante, « on ne peut plus rien dire ». Et ils rajoutent souvent à destination de ces femmes qui osent protester « Taisez-vous ! ». 

Sandrine Maurin née Stievenard, un jour, a décidé de se faire entendre. Cette fille du Nord, passée par l'Aude où habitait son mari (le fameux Maurin, expert-comptable au ras des pâquerettes), vient de crever les yeux de la femme représentée par Rembrandt dans un tableau star (et excessivement cher) du Louvre-Lens. Avant de l'inculper, le juge d’instruction a besoin de l'avis d'un expert en art. Ce sera Pascal Berthomeau, l'autre personnage principal du roman. 

Un petit professeur en arts plastiques, sans talent, blessé depuis que Lucie, celle qu'il considère être la femme de sa vie, l'a largué. Pour oublier Lucie et tenter de comprendre le geste de Sandrine Maurin née Stievenard, il va se rendre à Port-l'Annonciade, dans l'Aude, puis à Amélie-les-Eaux dans les Pyrénées. Les lecteurs de la région reconnaîtront sans problème la cimenterie et les quais balayés par la Tramontane de Port la-Nouvelle et les hordes de curistes d’Amélie-le-Bains. 

C'est à proximité de la fameuse station thermale, dans la forêt, loin de toute civilisation et de ces ondes omniprésentes qui colonisent les esprits, en compagnie d'un footballeur récemment sorti de prison, que Sandrine a imaginé et réalisé ses premiers « nids », sortes de constructions primitives en branches dans la terre creusée. 

Un roman ample, beau et sans illusion. De ces textes qui, comme un uppercut inattendu, vous sèche sur place.   

« Electrosensibles », Damien Ribeiro, Le Rouergue, 240 pages, 21,50 €

samedi 12 avril 2025

Thriller - La glace et le feu

Alors que Trump espérait annexer le Groenland, ce thriller de Simon Mockler, inspiré de faits réels intervenus durant les années 60, prouve que la grande terre glacée est depuis longtemps un enjeu stratégique pour les USA. 

En pleine guerre froide, une base secrète, construite dans la glace du Groenland, abrite des missiles nucléaires. Quand elle est démantelée, les trois derniers militaires restés sur place sont victimes d'un accident. Deux sont morts dans les flammes d'un incendie, le troisième grièvement brûlé. Un survivant interrogé à Washington par le docteur Jack Miller, intermittent de la CIA, lui-même ancien militaire. Ce poche, paru initialement chez Belfond, est très cérébral dans sa première partie. Le psy tente de ne pas brusquer le grand brûlé. Découvrir s'il dit la vérité. Accident ou double meurtre ? 

La suite devient un véritable thriller d'espionnage, avec action et rebondissements. Passionnant et étonnant jusqu'à la dernière page.

« Projet Iceworm », 10/18, 408 pages, 9,50 €

vendredi 11 avril 2025

BD - Louve, la petite sœur qui gardait les moutons de son frère


Un pur bonheur, 200 pages en noir et blanc de beauté, de poésie et de tendresse. Le tome 1 de Louve, manga signé par Miyako Miiya est unique. on ne peut que tomber sous le charme de Ur et Juf, le petit berger et sa sœur. Ur vit dans une maison perdue près du Mont Gémissant. Une zone étrange, où d'étranges histoires circulent. Notamment qu'il abrite des bêtes sauvages et agressives. Un loup-garou notamment. Or il se trouve que Juf est très grande, couverte de poils noirs, a des yeux perçants et une grande gueule. Si Ur veut rester loin des hommes c'est pour protéger sa petite sœur de leur folie. 


Un berger, des moutons, une louve : étrange casting de cette BD composée de 9 histoires indépendantes avec à chaque fois un personnage secondaire en vedette. La plus mignonne est celle de Chibi le petit agneau. Un bébé découvrant la grande ville et ses dangers. La plus touchante est celle de Tétée la mémère. Tétée c'est la chienne de Ur. Une bonne gardienne. Mais qui se fait un peu vieille. Des pages qui permettent d'appréhender la fin de vie en toute sérénité. 

La plus touchante reste celle de Céline, la jeune duchesse. Une ode aux plaisirs simples du  présent. Un second tome est annoncé. En attendant vous pouvez découvrir, toujours aux éditions du Renard doré, les Contes fabuleux de la nuit, les autres titres signés Miyako Miiya.   

"Louve" (tome 1), Le Renard Doré, 208 pages, 9,90 € 

jeudi 10 avril 2025

BD - Quand les femmes d'aujourd'hui se transforment en fauves

A quoi ressemblent les jeunes femmes d'aujourd'hui ? Si votre milieu, votre âge ou votre isolement vous empêchent d'avoir des réponses en direct, plongez dans cet album d'Aurelle Gaillard (scénario) et Francesca Marinelli (dessin). Dans "Les Fauves", elles racontent le quotidien de trois copines, des colocataires, surfant sur l'époque, les galères et l'amitié. Aïdée, Pénélope et Zora partagent cet appartement en ville. La première est encore étudiante, aux Beaux-Arts. La seconde est serveuse dans un bar. La troisième occupe toutes ses journées à militer contre le capitalisme et l'exploitation des plus faibles. Des tempéraments différents mais qui s'accordent facilement, avec des horaires décalés, des envies communes et surtout une grande bienveillance. 

Quand Aïdée revient de cours énervée après avoir subi les remarques phallocrates d'un prof, une idée germe dans son esprit d'artiste provocatrice. Pourquoi ne pas lui montrer la force de la vulve ? Et les trois filles entrent par effraction chez les vieux grincheux et dessinent une superbe vulve de toutes les couleurs sur le mur du salon. Voilà comment un petit dessin prend de l'importance et devient un symbole de la résistance des femmes face à l'oppression de la société patriarcale. 

Dans ce long roman graphique au dessin simple et coloré, expressif sans être trop caricatural, on suit aussi les aventures amoureuses des trois copines. Amoureuses très libres, dans l'air du temps, avec la greffe au trio d'un quatrième membre, Andy, garçon androgyne qui n'est attiré ni par les filles ni les garçons. Le récit prend un tour plus dramatique quand elles décident de s'attaquer à des petits nazillons. La violence débarque dans leur quotidien. 

Un livre témoignage sur la jeunesse d'aujourd'hui. Elle est dynamique, pleine d'espoir et d'ambition. Rafraîchissant.   

"Les fauves", Glénat, 136 pages, 20,50 €

mercredi 9 avril 2025

Polar – Ladouce justicière

Si vous avez des difficultés à comprendre le concept de sororité, plongez dans ce roman d'Ingrid Desjours et vous n'aurez plus aucune excuse. L'héroïne imaginée par la romancière (essentiellement connue pour des romans noirs et durs), Capucine Ladouce, a un passé trouble. Elle met à profit sa froide colère contre la société patriarcale pour voler au secours des femmes maltraitées. 

Ainsi elle emménage dans un quartier résidentiel pour aider une femme craignant pour sa vie. Reste à savoir qui. Seul indice, son prénom débute par un C. Capucine va donc explorer le quotidien de Charlène, Cordélia, Clotilde et Camille. Et devenir leur amie. 

Un roman subtil, futé et surtout humoristique dans ses premiers chapitres. Car la romancière n'est pas tendre pour ces habitants de la banlieue, entre train-train, espionnage des voisins et ragots. La seconde partie est plus dramatique. Le méchant est identifié et Capucine va tout faire pour l'empêcher de nuire. Les mâles en prennent pour leur grade. 

« Capucine Ladouce », Ingrid Desjours, Hauteville, 384 pages, 8,95 €

mardi 8 avril 2025

Romans français - A chacun ses problèmes familiaux

Si Laurent Bazin règle ses comptes avec son père au moment de ses obsèques, Antoine Laurain est plus indulgent pour sa famille face à l'épreuve de la... dictée de Mérimée.

Deux romans français sur la famille en général, deux ambiances totalement différentes. Antoine Laurain propose un texte léger sur les affrontements entre générations autour de l'amour de la langue française alors que Laurent Bazin, célèbre journaliste télé installé dans l'Aude, transforme l'annonce de la mort de son père en psychanalyse qui vire au règlement de comptes sans concession. Si vous avez l'humeur joyeuse et riante, profitez du premier texte. Si la tristesse ou la rancoeur minent votre quotidien, découvrez qu'il y a pire ailleurs concernant la mésentente dans une famille. 

Nous avons tous un souvenir de dictée qui ne s'est pas bien passée. Benjamin, écolier, ramène une très mauvaise note. Ses parents, un peu catastrophés, décident de lui prouver qu'ils étaient bien meilleur que lui à son âge. Et se trompent un peu. Un mini psychodrame qui va déboucher sur l'organisation d'une dictée en plein air, sous la supervision d'un membre de l'Académie française. Et pas n'importe quelle dictée puisqu'il faudra éviter les pièges de Prosper Mérimée. Outre quelques mots incongrus, c'est le fond de ce petit texte qui va devenir célèbre. Dans cette dictée, « les notables y étaient ridiculisés, les bourgeois passaient pour des crétins, les militaires pour des ivrognes, la religion tournait à la farce. Un bijou d'insolence. Un chef-d'oeuvre de provocation. » Rien que pour l'exhumation de ce texte, le roman mérite le détour.

Moins d'humour dans le récit de Laurent Bazin. C'est le parfait exemple que l'on peut réussir sans népotisme. Car très vite son père s'est désintéressé de sa carrière de journaliste. Ce médecin, volage, criblé de dettes, a vécu ses dernières années dans une grande solitude. Laurent Bazin, en une semaine, va devoir faire un gros travail sur lui pour accepter d'organiser les obsèques, le dernier adieu. Avec l'impossibilité de se réconcilier. Juste une sorte de piqûre de rappel sur son rôle de père qu'il veut, au contraire du mort, exemplaire, attentif et aimant. L'étrange confession sèche et parfois caustique d'un homme public à l'image chaleureuse et bienveillante.  

« La dictée », Antoine Laurain, Flammarion, 160 pages, 20 €

« L'homme qui ne voulait pas être mon père », Laurent Bazin, Robert Laffont, 320 pages, 21,50 €