mercredi 7 septembre 2011

BD - La vie facile pour le héros de "C'est comment qu'on freine ?" de Grégory Mardon

Cyril, le personnage principal de cette BD de Grégory Mardon, est ce que l'on appelle un winner. Pas de ceux qui s'enrichissent vite et facilement. Non, sa spécialité c'est de ne faire que ce qui lui plait. La trentaine, il sort, s'amuse, vit à Paris, fait un boulot alimentaire mais pas très fatigant, rencontre des gens intéressants, a plein de copains et depuis peu une petite amie fixe, Natacha. La vie facile d'une génération insouciante dans la folie des années 2000. Mais la réalité va le rattraper en quelques heures. 

Primo, Natacha lui apprend qu'elle est enceinte. Il voit immédiatement de longues chaînes se profiler devant lui, du mariage au temps nécessaire à l'éducation de cet hypothétique marmot. Car Natacha est décidée à le garder. Secundo, le père de Cyril est victime d'un infarctus. Il doit filer à l'hôpital de province se rendre à son chevet, retrouver cet environnement qu'il a fuit depuis longtemps.

Second volume de « L'extravagante comédie du quotidien », cet album est un instantané de certaines mœurs de notre époque, de la vie désinvolte de ces adultes ne voulant plus grandir.

« C'est comment qu'on freine », Dupuis, 18 €

mardi 6 septembre 2011

Roman - Cap sur Morro Bay pour Jean-Philippe Blondel dans "Et rester vivant"

« Et rester vivant » de Jean-Philippe Blondel est une invitation au voyage. La Californie du début des années 80 est au centre de ce texte très personnel. L'auteur y raconte comment, un été, il a dilapidé son héritage en sillonnant les routes américaines au volant d'une grosse américaine, une Thunderbird, en compagnie de deux amis.

Les voitures ont une place prépondérante dans la vie de Jean-Philippe Blondel. Et dramatique. Il est à peine âgé de 18 ans quand son frère aîné et sa mère meurent dans un accident. Son père, qui était au volant, sort indemne. Physiquement, pas mentalement. Devenu à moitié fou, il va mourir lui aussi, quelques années plus tard, toujours dans un accident de voiture.

Le narrateur, jeune héritier de 22 ans, vend l'appartement du père et avec cet argent achète des billets d'avion pour la Californie. Il ne part pas seul, emmenant dans ses bagages son ancienne petite amie et son meilleur ami. Le trio amoureux va aller de San Francisco à Los Angeles, en passant par la Basse-Californie mexicaine et Las Vegas. Cette idée de voyage est simplement due à une chanson, un tube du moment, où le chanteur racontait comment il finissait ses jours à Morro Bay. Morro Bay, le but ultime du narrateur, le cul-de-sac de ce voyage impossible.

La force de ce roman réside dans cette volonté de tout raconter, sans tabou ni arrangement avec la vérité. De la folie à la jalousie, de l'abandon à la révolte, Jean-Philippe Blondel brosse avec brio toutes les étapes et rencontres de cette errance estivale, cette étrange parenthèse dans une vie programmée.

« Et rester vivant » de Jean-Philippe Blondel, Buchet-Chastel, 14,50 € (Disponible également au format poche chez Pocket) 

lundi 5 septembre 2011

Récit - Au fil du Mékong, Patrick Deville raconte le Kampuchéa

Mékong, Angkor, Kampuchéa... Si ces noms vous font rêver, plongez dans ce roman de Patrick Deville, entre voyage initiatique et rêverie historique.

L'auteur se rend au Cambodge en 2010. A l'occasion du procès de Douch, le bourreau khmer rouge du camp S-21. Des dizaines de milliers de morts, juste pour l'exemple puis presque par habitude. La première partie du roman retrace avec une rigueur scientifique la prise du pouvoir par ces révolutionnaires, soutenus à l'époque par la CIA, simplement pour déstabiliser le Vietnam.

De toutes les révolutions ayant triomphé, « celle de Phnom Penh fut un sommet, explique Patrick Deville, la plus belle et la plus intransigeante, l'absolue table rase. Trois ans, huit mois et vingt jours. Une révolution aussi parfaite qu'une expérience de laboratoire. » « L'idée même de ville doit disparaître. Le retour au village et à la pureté khmère. Tous porteront le pyjama noir des paysans khmers. C'est la rigueur morale du Peuple ancien contre la débauche des citadins. » Une véritable terreur s'abat sur le pays. Les camps se multiplient et les cadavres s'accumulent. L'Angkar, le manifeste des révolutionnaires interdit l'argent, les livres, l'école...

Aujourd'hui le Cambodge est redevenu un pays libre. Patrick Deville constate pourtant que le procès Douch, loin de passionner les foules, semble se dérouler dans une relative indifférence. Seuls quelques descendants de victimes tentent d'obtenir réparation. Mais la peine de mort étant abolie, les tortionnaires ne risquent, au pire, que de finir leurs jours dans des prisons mille fois plus luxueuses et confortables que les cachots dans lesquels ont agonisé leurs victimes.

Dans ce récit, Patrick Deville se met également en scène, se dévoile, laisse deviner sa fascination pour ce pays, cette région. « Je partirai demain à mon tour, puisque le procès de Douch est déjà suspendu. J'irai revoir l'étoile du soir se lever sur les ruines d'Angkor, et le vol des milliers de chauve-souris sur le ciel cendreux. » Il va remonter le Mékong, refaire le parcours des grands explorateurs français comme Henri Moulot, ce chasseur de papillons découvreur du temple d'Angkor. Aussi les deux militaires français, Lagrée et Garnier. Des Français au Cambodge et des Cambodgiens en France. La remontée du fleuve sera aussi l'occasion pour l'auteur de revenir sur les séjours parisiens des cerveaux khmers rouges, notamment Pol Pot. Ce roman, comme le Kampuchéa, est parfois lent et majestueux, avant d'entrer dans des zones de turbulences où les excès confinent à la folie.

« Kampuchéa » de Patrick Deville, Seuil, 20 € (Disponible également au format poche chez Points) 

vendredi 2 septembre 2011

BD - « La saga d'Atlas et Axis » de Pau chez Ankama : bien plus que des chiens...

Les auteurs espagnols aiment la BD animalière. Après le choc Blacksad il y a quelques années, dans un tout autre genre, apprêtez vous à tomber sous le charme d'Atlas et Axis. Imaginés par Pau depuis de nombreuses années, ces chiens ont trouvé refuge aux éditions Ankama. 

Le premier tome de leur « Saga » paraît dans la collection « Etincelle » et est incontestablement un des incontournables de cette rentrée. Pour le dessin, fin, racé et expressif, mais aussi l'histoire, entre action, humour et émotion. C'est cependant ce dernier trait qui ressort le plus. Et est le mieux maîtrisé. Revenant de voyage, Atlas et Axis découvrent leur village pillé. Les Vikiens ont enlevé les femmes et les enfants, tuant hommes et anciens. Ils décident de partir vers le Nord pour libérer les membres de leur famille. 

Un long périple dans les bois et la neige, à affronter sorcière, ours et autres dangers. Deux chiens aux sentiments très humains, entre colère et tristesse. Un bijou graphique à mettre entre toutes les pattes...

« La saga d'Atlas et Axis » (tome 1), Ankama, 14,90 € 

jeudi 1 septembre 2011

BD - L'esprit spartiate par Weber et Simon aux éditions du Lombard

Dans la BD historique, il y a un avant et un après Alix. Jacques Martin, avec sa rigueur et sa précision légendaires a placé très haut la barre. « Sparte » de Weber (scénario) et Simon (dessin) est dans la droite lignée des aventures du jeune Gaulois au service de César. Être Spartiate c'est plus qu'une nationalité, c'est un état d'esprit qui ne laisse aucune place à l'amour, la tendresse ou l'amusement. 

Éduqués pour se battre, sans pitié, à mourir au combat, les jeunes Spartiates sont redoutés dans toute la Grèce. Agésilas a pris la tête d'une rébellion qui trouve le roi actuel trop laxiste. Ce dernier, pour se débarrasser de ce trublion, engage Diodore, ilote réputé être le meilleur chasseur de primes de la ville. Cette série, aux dessins réalistes d'un grand classicisme, raconte la lutte entre ces deux héros, leurs points communs, leurs secrets... 

Un premier tome prometteur avec un coup de théâtre final donnant une orientation différente et inattendue à une série regorgeant de violence et de sexe.

« Sparte » (tome 1), Le Lombard, 11,95 € 

mercredi 31 août 2011

BD - Les rugbymen par Béka et Poupard : l'ovale qui rit

Rugby et rentrée riment cette année avec antipodes. Les héros de la BD des Rugbymen de Beka et Poupard ne sont pas sélectionnés pour la coupe du monde de rugby mais débutent malgré tout leur nouvel album dans l'hémisphère sud. Une histoire courte se déroulant sur les plages de rêve d'une petite île des Fidji. Ils partent à la recherche d'un joueur clé de l'équipe adverse, Sossatoulépla. Ils devront affronter une partie de sa famille, la nourriture locale et le rituel du Kava. 

Une mise en bouche exotique pour la BD la plus villageoise de la rentrée. A Paillar, les joueurs sont des stars, sur et hors du terrain. Tous plus caricaturaux les uns que les autres, ils se partagent la vedette, du demi de mêlée irascible au pilier massacreur en passant par le coach aux méthodes d'antan. 

Une franche rigolade qui fait rire large : les amateurs qui sont heureux de retrouver des private jokes de spécialistes et les néophytes, enchantés de découvrir les dessous de ce sport de contact en vedette ces deux prochains mois.

« Les Rugbymen » (tome 9), Bamboo, 10,40 € 

mardi 30 août 2011

Roman - Lisbonne la magnifique dans "Eléctrico W" de Hervé Le Tellier chez Lattès

Roman d'amour et du souvenir, « Eléctrico W » de Hervé Le Tellier se déroule entièrement à Lisbonne. Une ville omniprésente dans un texte où la mémoire joue un grand rôle. Vincent, le narrateur, est journaliste pour un grand hebdomadaire français. Il est en poste depuis peu à Lisbonne. Essentiellement pour pour oublier son histoire d'amour parisienne avec Irène qui vient de s'achever. 

Durant une semaine, il est rejoint par un photographe, Antonio, originaire de Lisbonne. Les deux hommes vont se livrer au jeu des confidences. Antonio va donc raconter comment il a du abandonner son premier amour, une jeune fille surnommée Canard. Vincent, comme pour conjurer son propre désespoir sentimental, va tout faire pour retrouver Canard, reformer ce couple heureux s'étant rencontré sur la ligne du tramway Eléctrico W. Cela se complique quand l'amie actuelle d'Antonio vient le rejoindre à Lisbonne. Une fiancée qui n'est autre qu'Irène...

Hervé Le Tellier, membre de l'Oulipo, fervent admirateur de Pérec, a débuté ce roman il y a 20 ans. Il l'a longuement laissé mûrir, donnant aux années l'occasion de polir ces souvenirs. Les rencontres sont merveilleuses, la ville rayonnante et les situations cocasses. Le tout est bien plus qu'un guide amoureux de la capitale portugaise.

« Eléctrico W » de Hervé Le Tellier, Lattès, 18 € 

lundi 29 août 2011

Roman - De "Tuer le père" à "La petite" : filiations compliquées pour Amélie Nothomb et Michèle Halberstadt

Entre « Tuer le père » d'Amélie Nothomb et « La petite » de Michèle Halberstadt, un point commun, la difficulté d'accepter ses parents.

D'un côté un garçon abandonné par sa mère, de l'autre une fillette se sentant incomprise. Les personnages principaux de « Tuer le père » d'Amélie Nothomb et de « La petite » de Michèle Halberstadt ont des bleus à l'âme. Cela donne deux romans à fleur de peau, explorant l'inconscient des enfants, de la famille et de la formation au dur métier d'adulte.

Ne dérogeant pas à la règle établie depuis quelques années, Amélie Nothomb se met en scène dans son roman de rentrée. Mais ce n'est qu'une petite introduction, quand elle rencontre dans un club deux magiciens de renommée internationale. Joe Whip et Norman Terence, l'élève et le maître. Joe est littéralement chassé du foyer familial par sa mère. 

Entre l'enfant et son nouvel amant, elle préfère celui qui lui donne le plus de plaisir. Joe est un enfant taciturne, passant son temps à faire des tours de cartes. Un homme le remarque et lui conseille d'aller voir Norman Terence, le meilleur magicien de Reno. Joe, du jour au lendemain, trouve un foyer, un père, une famille. Norman va lui apprendre ses secrets. Joe est d'autant plus heureux que Christina, la jeune compagne de Norman, tout en endossant le rôle de mère, va également hanter ses nuits de jeune adulte. « Christina était extrêmement mince de visage et de corps. Sans que son squelette apparaisse jamais. Ses cheveux, sa peau et ses yeux avaient la couleur du caramel. » Le classique trio va déboucher sur un coup de foudre pour Joe, « car sitôt qu'il vit sa beauté, il l'aima, de la toute-puissance du premier amour. » Mais comment passer à l'acte sans trahir la confiance de son mentor ?

Le roman va ensuite se poursuivre avec la description de cette vie de bohème, une partie se passant au cours du festival de Burning Man, immense regroupement hippie au centre du désert. Christina va y présenter son spectacle de fire dancers. Et c'est dans ces passages que l'on retrouve la magie de l'auteur de « Stupeurs et tremblements », quand elle raconte les excès, la folie de ce lieu unique. Ou quand elle s'attarde sur l'art de Christina : « Regarder de grands danseurs provoque le même émoi que regarder une bûche enflammée : le feu danse, le danseur brûle. C'est le même mouvement, aussi hirsute qu'harmonieux. »

« Petite fille quelconque »

Cette intensité du feu, on la retrouve dans « La petite », ce court et dense roman de Michèle Halberstadt. Cela débute par cette phrase coup de poing qui reste longtemps en mémoire : « J'ai 12 ans et ce soir je serai morte ». La narratrice va détailler cette vie, entre mère exigeante, père absent et copines d'école inexistantes. Cela va la conduire à faire ce geste suicidaire à priori impossible pour une enfant de 12 ans. Pourquoi en est-elle arrivée là ? Que se passe-t-il dans la tête d'une petite fille ? Comme une longue confession, le roman donne les clés de ce drame.

Introvertie, se sentant laide et repoussante, la petite tient un journal intime. Elle converse avec une amie imaginaire, Laure. « Laure était celle que j'aurais voulu être. Un elfe gracile, doux et mutin, un modèle pour une petite fille désespérément quelconque. » Problème à l'école et manque total de communication en famille : « De toute façon comment aurais-je pu dire à mon père que je me sentais étrangère à tous, même à lui ? Ma tanière s'était transformée presque à mon insu en une cellule dans laquelle je m'enfermais davantage chaque jour et dont j'aurais été incapable de produire la clé. » Paradoxalement, ce roman au thème grave se révèle d'un optimisme étonnant. Ce n'est pas le classique happy end, mais quand on le referme, on se sent rasséréné, la phrase du début s'estompe, Michèle Halberstadt a bouclé la boucle.

« Tuer le père » de Amélie Nothomb, Albin Michel, 16 €

« La petite » de Michèle Halberstadt, Albin Michel, 12,90 € 

vendredi 26 août 2011

BD - "Langoustines breizhées" pour Léo Loden

Léo Loden, le privé marseillais imaginé par Arleston et dessiné par Carrère ne rate plus une occasion de quitter le vieux port pour explorer une autre partie de la France. 

Ce 20e tome, co-écrit par Nicoloff, se passe essentiellement en Bretagne. Léo, accompagné de Tonton Loco, va donner un coup de main à un collègue, sosie officiel de Johnny Hallyday (du moins en Bretagne...) et principal moteur comique de l'histoire en raison de sa bêtise sans limite. 

Erwann Keradec doit retrouver une journaliste enlevée alors qu'elle s'apprêtait à publier un article sur le trafic de clandestins en provenance d'Afrique. On retrouve toute la verve d'Arleston (jeux de mots compris) avec une bonne dose d'action. Côté dessin, Serge Carrère n'a cessé de fluidifier son trait. 

Ainsi, par moment (notamment les personnages féminins), on a l'impression d'avoir du Jean-Louis Mourier sous les yeux. Il pourrait sans problème dépanner le dessinateur des Trolls de Troy en cas de retard ; Arleston appréciera...

« Léo Loden » (tome 20), Soleil, 9,95 € 

jeudi 25 août 2011

BD - "Grand Prix" de Marvano chez Dargaud : vitesse et politique

La politique a toujours aimé le sport. Un vecteur important pour passionner les foules, les faire vibrer, glorifier la nation, un régime. Dans les années 30, Hitler a parfaitement compris le phénomène et parmi les nombreuses occasions de mettre en avant l'efficacité du national-socialisme, la course automobile en est une excellente. 

C'est ce pan de l'histoire de Mercedes ou Audi qui est raconté dans « Grand Prix » de Marvano, auteur belge, graphiste reconnu ayant parfaitement retranscrit l'élégance des courbes de ces bolides d'argent. La technologie allemande est dominante, mais pour ce qui est des pilotes, c'est plus compliqué. D'autant que certains sont loin de la ligne politique officielle. 

Exemple avec Rosemeyer. Brillant au volant, il est sarcastique en dehors des pistes. Il aime par dessous tout se moquer du Furher, l'imitant et le caricaturant. Le milieu automobile regorge également d'ingénieurs juifs se demandant de plus en plus de quoi sera fait leur avenir avec la mise en place des lois raciales. 

Un éclairage particulier de l'Histoire où l'enthousiasme des pilotes gommait les errances des politiques.

« Grand Prix » (tome 2), Dargaud, 13,95 €