jeudi 13 mars 2025

Science-fiction - Le confinement de l'apocalypse

Et si le confinement avait mal tourné ? Sur cette interrogation, Eliott de Gastines imagine une France qui plonge dans le chaos. Un cauchemar raconté dans « La frontière sauvage ».

La Normandie, ses vaches, sa quiétude, ses vallons verdoyants, ses fermes isolées... son califat de Lisieux. Eliott de Gastines, en décrivant cette France d'après confinement qui tourne mal, ne fait pas dans la dentelle. Au contraire il force le trait dans l'horreur, le désordre, la violence. Les 20 premières pages ont tout du roman de confinement. Eliott et sa compagne, Florence, vivent dans un appartement d'une petite ville de Normandie. Quand un virus fait son apparition en Chine puis en Italie, ils ne s'inquiètent pas. Quand le gouvernement décrète le confinement, ils en rigolent.

Mais dans ce roman d'anticipation, les fake news vont changer la perception de la pandémie. Une mutation rendrait le virus plus virulent. Plus mortel aussi. Le droit de retrait est invoqué dans la santé, la sécurité, le commerce. Le pays se dérègle, sombre dans l'anarchie. Certains en profitent, se transformant en pilleurs-tueurs-violeurs. Eliott et Florence fuient dans les bois alentours. Et tombent, au bord d'une rivière, sur la nouvelle réalité de la Normandie : « Sur la grève s'entassait un amas de corps impossibles à dénombrer. On pouvait clairement distinguer dans ce tas partiellement carbonisé des membres, des bouts de vêtements en tous genres, des visages figés dans un cri, d'autres paisibles à jamais. (…) Des corps de jeunes enfants, là les courbes d'une femme en petite tenue, ici ce qui ressemblait à des notaires de province ramenés en cubes les chevilles par-dessus les épaules. » Le roman bascule dans l'horreur. Bien que peu adapté à la survie, le couple va passer un été relativement tranquille dans un pigeonnier perdu dans une vallée.

Aux premiers froids, face à la difficulté, ils feront le choix de la sécurité en demandant refuge au califat de Lisieux, enclave musulmane où Eliott, grâce à son talent en calligraphie, va devenir essentiel dans la propagande du « ministère de l'information ». Ce semblant de sérénité (au coût exorbitant : conversion à l'Islam le plus radical, accepter d'avoir des esclaves) ne durera pas longtemps. Car la vision d'Eliott de Gastines, radicalement pessimiste, ne nous laisse que peu d'espoir si par malheur sa fiction devenait réalité. Il y a un peu d'humour dans ce roman enlevé, mais le ton est avant tout triste et nostalgique. Comme pour mieux nous faire prendre conscience combien nous vivons dans un monde privilégié, loin de tout danger mais incapables de profiter de ce bonheur simple.

« La frontière sauvage » d'Eliott de Gastines, Albin Michel, 320 pages, 21,90 €

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