Il y a du Dantec dans « L'alignement des équinoxes », premier roman noir (très noir) de Sébastien Raizer dans la Série Noire qui fête cette année son 70e anniversaire.
Pour rester dans les codes du genre, les deux héros du roman policier de Sébastien Raizer sont flics. Des inspecteurs de la criminelle au 36 quai des Orfèvres. Mais Papy Maigret est loin. Même San-Antonio semble banal à côté de Wolf et Silver.
Wolf, le mec, ancien commando dans l'armée, dur et solitaire. Silver, la fille, d'origine asiatique, adoptée par des Français moyens, dure et solitaire. Un couple sans en être un. Jamais ils ne se touchent. Respect, confiance, mais pas un gramme de tendresse entre eux. Logique quand on découvre un peu plus leurs personnalités. Ce ne sont pas des êtres humains que l'on aime croiser la nuit dans une ruelle mal éclairée. Et si par malheur vous vous retrouvez en garde à vue, priez pour ne jamais tomber entre leurs mains.
La police dans ce présent aux airs de futur proche ne supporte plus les dérives du code de procédure pénale. Si chaque suspect a droit à un avocat, bientôt chaque policier devra lui aussi avoir un défenseur tant le moindre clignement d'oeil ou éternuement peut se transformer en « agression caractérisée » ou « moyen de pression psychologique pour faire avouer un témoin ». Ils doivent souvent se contenter de faits divers routiniers comme ce suicide par pendaison d'un gamin dans un centre de réinsertion. « Allé tous crevé, Jihad ! » a-t-il laissé sur un bout de papier. Peu optimiste face à la dérive de notre société, Wolf constate amer que « décidément, le Jihad était à la mode dans ce monde où la mort était la dernière grande aventure qui ne discriminait personne, où l'extrême nihilisme tenait à la fois lieu de destin et de revanche sociale. »
Décapité
L'enquête au centre de ce thriller débute véritablement quand une patrouille de nuit est prévenue qu'un homme vient d'être assassiné dans un appartement parisien. Effectivement ils découvrent un corps... la tête quelques mètres plus loin. La tueuse, une jeune femme d'une beauté extrême, est assise dans un coin de la pièce. Devant elle le sabre de samouraï avec lequel elle a décapité sa victime est planté dans le plancher. Elle s'appelle Karen et va envahir l'esprit de Wolf chargé de l'interroger. Si elle reconnaît le meurtre, elle préfère philosopher que de s'expliquer. Le tuer était nécessaire pour atteindre le stade ultime de « l'alignement ». Folle ? Non car Silver comprend parfaitement la signification de cette démarche et que Wolf, lui aussi, semble sensible à cette théorie de « l'alignement des équinoxes » donnant son nom au roman.
Le texte devient encore plus symbolique, chaque personnage ayant plusieurs facettes, interférant les unes sur les autres au gré de leur avancement dans ce fameux « alignement ». En résumé, il est question de fin du monde, de végétalisme, de psychologie, de sexe, d'agriculture biologique (« un oxymore qui ne devrait pas exister ») et bien sûr de mort. Enfin, ce que l'on appelle communément la mort. Dans ce roman, il apparaît que parfois, un esprit a suffisamment de force intrinsèque pour survivre à son enveloppe charnelle.
Beaucoup de fantastique, un peu de technique, de la baston, un « grand méchant » mémorable et vous voilà plongé dans 450 pages qui ne vous laissent pas indemnes. Et même si Sébastien Raizer, Français vivant à Kyoto, ne s'en réfère pas dans ses remerciement (il cite Mishima et Philip K. Dick), ce texte fait furieusement penser aux univers de Maurice G. Dantec. Et comme tout ne se termine pas forcément mal, une suite est annoncée en 2016.
« L'alignement des équinoxes », Gallimard Série noire, 20 €
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