vendredi 21 juin 2013

Roman - Fantastique Japon moderne

Le Japon, écartelé entre modernisme et tradition, a toujours fasciné les auteurs occidentaux. Nouvelle preuve avec « Le chemin des Dieux » de Jean-Philippe Depotte.

Depuis le moment où il a décidé de devenir écrivain, Jean-Philippe Depotte ne cesse de publier. Un gros roman par an. Après trois récits entre fantastique et récit historique, il se lance dans un roman contemporain. Le personnage principal est le Japon, ce pays qu'il connait (et aime) bien pour y a voir vécu quatre ans. A travers ces 460 pages qui font parfois penser à du Brussolo, il fait partager sa fascination pour un peuple à la pointe de la modernité mais qui jamais n'a oublié ses traditions, les fondamentaux de son histoire réelle et imaginaire.

Le Japon actuel, le lecteur le découvre par l'intermédiaire des yeux d'Achille, un Français qui y a vécu il y a une dizaine d'années. Une parenthèse terminée sur une déception amoureuse. Il devait se marier avec Uzumé. Cela ne s'est pas fait. Il croit avoir tout oublié jusqu'à ce coup de téléphone de son ami Francis, resté lui au Pays du soleil levant. « Uzumé a été enlevée. Viens m'aider à la retrouver ! ». Achille abandonne tout et saute dans un avion pour débarquer dans une ville de Tokyo en totale mutation. Le Français reprend son nom japonais d'Ashiru-san et va au rendez-vous fixé par Francis. Mais son ami ne viendra pas. Il s'est suicidé entretemps. Pendu dans une forêt avec l'écharpe d'Uzumé. Le début d'une dérive spectaculaire pour Ashiru-san, comme envoûté par ce monde dont il maitrise la langue et les codes mais où il restera à jamais un gaïjin, un étranger dont il faut se méfier.

De Kappa à Tanuki

Rapidement le versant fantastique du roman va s'immiscer insidieusement dans le récit. Le Japon décrit par Jean-Philippe Depotte est en train de s'éteindre. En fait c'est l'électricité qui fait défaut depuis un mystérieux incident dont on ne saura rien. L'État demande à ses administrés de faire des économies et la nuit rares sont les lumières allumées. Cela donne un côté crépusculaire à la ville où Ashiru-san erre, détroussé, sans but. Le cauchemar s'estompera avec la rencontre de la jeune taxidermiste Kumiko-chan qu'il surnomme Véra en raison de sa ressemblance avec le personnage du dessin animé Scoubidou. On entre alors de plain-pied dans le Japon des croyances.

Achille ne peut s'empêcher de sourire à la superstition de son amie qui tousse trois fois devant la porte des WC avant d'y aller. « Je préviens quiconque occupe ces toilettes que je compte bien y entrer. Précaution élémentaire. Pour ne pas déranger. » Et de se justifier en expliquant que « les esprits des toilettes ne sont pas les plus dangereux . Mais les tours qu'ils vous jouent sont les plus embarrassants. » Des craintes partagées par Ken, l'ami de Véra, un geek absolu, ne jurant que par les jeux vidéo et les chanteuses pré pubères de mièvreries sucrées.

Dans ce roman on croise aussi quelques yakusas mais surtout toute une ribambelle de divinités, comme attirées à l'extérieur maintenant que les ténèbres règnent sur le pays. Si Kappa dit le "noyeur", un être vivant dans les rivières et attirant les petits enfants dans la vase fait très peur, on est par contre séduit par Tanuki, hybride entre homme, ours et blaireau, lutteur, farceur et reconnaissable entre mille par son pelage dru, « ses testicules immenses et son scrotum distendu ». A la dérive, toujours à la recherche de la mystérieuse Uzumé, Achille est le guide d'exception d'un Japon fantasmé par un écrivain étonnamment imaginatif.

« Le chemin des Dieux », Jean-Philippe Depotte, Denoël, 20,90 € 

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