samedi 29 octobre 2022

Cinéma - “Les Harkis” abandonnés

Le film historique de Philippe Faucon aborde, avec une précision glaciale et très réaliste, le sort des harkis, supplétifs de l’armée française durant la guerre d’Algérie.


Un film choral, car au lieu de s’attacher à donner la vision d’un « héros » ou personnage principal, Philippe Faucon raconte les trois dernières années d’une harka, ces brigades chargées de traquer les indépendantistes. Parmi la douzaine de combattants, l’un s’engage juste pour subvenir aux besoins de sa famille, un autre pour venger son frère, exécuté par le FLN, un troisième, car il a craqué sous la torture. Il a dénoncé ses camarades indépendantistes et n’a pas d’autre choix que de passer dans le camp de la France.

Ils sont sous la responsabilité de sous-officiers français, souvent très jeunes, parfois très près de leurs préoccupations. C’est le cas du lieutenant Pascal (Théo Cholbi). Il s’appuie sur ces hommes qui connaissent parfaitement le terrain. La harka sillonne les montagnes de l’arrière-pays, cherchant les unités du FLN, des « résistants », ne peut penser parfois le lieutenant Pascal, trop souvent conscient qu’il fait partie du mauvais camp. Notamment quand il doit couvrir des interrogatoires où la torture est la seule technique utilisée. 

Quand les premières rumeurs du départ de la France d’Algérie bruissent, les harkis sont inquiets. Cet abandon est l’objet du dernier tiers du film, sans doute le plus poignant, car il exprime ce sentiment de trahison. Toujours avec une précision chirurgicale, le réalisateur montre l’abandon des supplétifs par l’armée française, le dévouement de certains sous-officiers (dont le lieutenant Pascal), risquant leur carrière pour tenter de sauver leurs hommes. Il n’est pas montré l’exil de certains vers la métropole, mais c’est une autre histoire qui nous touche directement dans la région.

Film de Philippe Faucon avec Théo Cholbi, Mohamed El Amine Mouffok, Pierre Lottin


Thriller - « La leçon du mal », matière principale d’un lycée japonais

Il faut parfois se méfier des professeurs trop gentils, efficaces et prévenants. Ils peuvent cacher de dangereux psychopathes capables de tout pour arriver à leurs fins, rarement enviables pour les jeunes lycéens. Au début du roman La leçon du mal du romancier japonais Yûsuke Kishi, comme ses élèves, on est sous le charme de Seiji Hasumi. Ce professeur d’anglais dans un lycée de la banlieue de Tokyo e tout pour plaire. 

Jeune, sportif, dévoué à ses classes, investi dans le fonctionnement de son lycée, il anime un atelier de conversation une fois les cours terminés. Prévenant auprès de ses collègues, il est toujours présent quand la direction le sollicite pour résoudre les problèmes. La première partie du roman ressemble à un documentaire sur la vie rêvée dans un lycée japonais. Mais on devine rapidement que Hasumi n’est qu’une façade. Que derrière cet homme prévenant se cache un être plus torturé. Une simple histoire de corbeau, oiseau très protégé, permet de remettre les choses à leur place. Hasumi peut tuer sans difficulté. Un oiseau. Des humains aussi. 

Au fil des chapitres, on découvre comment Hasumi, dès son plus jeune âge, a manipulé son entourage pour assouvir des pulsions criminelles. Et plus l’intrigue progresse, plus on découvre que ce petit monde lycéen est très sombre. Car en plus d’Hasumi on découvre des élèves violents, des enseignants imposteurs, d’autres qui utilisent leur statut pour séduire les jeunes et même une infirmière nymphomane. Le ton du roman bascule quand trois des élèves d’Hasumi découvrent sa véritable personnalité et tentent de l’empêcher de nuire. Un combat sans pitié pour un thriller d’une exceptionnelle noirceur. 

« La leçon du mal » de Yûsuke Kishi, Belfond Noir, 24 €

vendredi 28 octobre 2022

Livre jeunesse - Train jaune en liberté


C’est l’histoire d’un train jaune, de sa conductrice et d’un bel hidalgo habitant à Bolquère. Cette histoire, comme un long poème, est aussi et surtout une belle histoire d’amour et de dépassement. Femke, aux Pays-Bas, est une jeune femme timide et souffrant de vertige. Tous les jours elle conduit un train jaune qui va de gare en gare, entre les canaux et les vertes prairies. Un parcours plat, très plat. Un train-train pour la conductrice du train, ce qui lui va très bien. 

Jusqu’au jour où elle découvre devant la porte de son appartement la carte d’identité d’un certain Julionito. Cet Espagnol habite à Bolquère. Il vient de passer quelques jours aux Pays-Bas. Alors Femke décide de changer sa routine et avec son train jaune de foncer vers les Pyrénées rendre la carte au si beau Julionito. 

Un texte de Guillaume Nail illustré par Qu Lan. On y trouve de nombreuses allusions au train jaune du Pays Catalan qui, contrairement au Néerlandais, va haut, très haut dans la montagne. Là où Femke risque l’apoplexie avec son vertige maladif. 

« La fin du train-train » de Guillaume Nail et Qu Lan, Glénat Jeunesse, 15,90 €

Cinéma - Des bières contre la guerre


Boire moins et réfléchir plus. Telle est la résolution prise par Chickie Donahue à la fin de son incroyable périple raconté dans le film The Greatest Beer Run Ever de Peter Farrelly mis en ligne sur la plateforme d’Apple + TV. 

Ce film ambitieux est basé sur une histoire vraie. En cette année 1967, la guerre du Vietnam fait rage. Et divise les USA. Chickie Donohue (Zac Efron) ne semble que peu concerné par ce débat. Mécanicien dans la marine marchande, entre deux embarquements, il vit chez ses parents et se contente de dépenser sa paye en tournées au bar tenu par un ancien militaire surnommé Le Colonel (Bill Murray). Un soir de beuverie, accusé de ne rien faire pour soutenir les gars du quartier qui tombent au combat, Chickie décide d’aller leur porter des bières du pays pour leur remonter le moral. Promesse d’ivrogne ? Et si pour une fois Chickie faisait ce qu’il promettait ? Contre toute attente, le jeune inconscient va partir, un sac rempli de canettes, pour tenter de les distribuer à ses amis. 

Ce périple débute comme une comédie. Tout sourit à Chickie. Il parvient même à rejoindre le nord en se faisant passer pour un agent de la CIA venu incognito. Mais une fois sur le front, la réalité va le rattraper. Et il va comprendre que son idée, en plus d’être idiote, est très dangereuse. En changeant de registre, le film de Peter Farrelly, en pensum pro américain du début, se transforme en documentaire implacable contre la guerre, l’impérialisme, la manipulation de l’opinion. Et Chickie deviendra adulte, s’en titrera par miracle et tiendra sa nouvelle promesse : moins boire, plus réfléchir. 

jeudi 27 octobre 2022

Roman - Extinction silencieuse

Chaque année, des dizaines d’espèces d’animaux disparaissent de la surface de la Terre. Par la faute de l’homme. Dans Le dernier des siens, Sibylle Grimbert touche du doigt cette réalité en racontant l’histoire d’amitié entre Gus et Prosp. Le premier, chercheur français, est envoyé en Islande pour capturer, mort ou vivant, le second un grand pingouin pour le musée d’Histoire naturelle de Lille. 

Sur un rocher, après que les chasseurs ont massacré la trentaine de membres d’une colonie, Gus capture le dernier, une aile abîmée, mais vivant. « La bête, dont un moignon d’aile cassée pendait sur son ventre, hurla. Elle essaya de mordre Gus, son aile valide tendue le plus possible à la verticale. Mais comme toute son espèce, hors de l’eau, il était impotent. » Une fois de retour à la civilisation, Gus soigne le pingouin, le baptise Prosp et se prend d’affection pour cet être étrange. 

Le scientifique abandonne sa mission, conserve l’oiseau, le protège durant des années, sans savoir au début qu’il s’agit du dernier de cette espèce totalement éradiquée par les humains. Un superbe texte sur l’inconscience de certains hommes, leur cruauté, mais aussi la possibilité toujours présente de l’empathie entre certains d’entre nous et les animaux, quelle que soit leur apparence.  

« Le dernier des siens » de Sibylle Grimbert, Anne Carrière, 18,90 € 

DVD - L’Algérie des “frères blessés”


La guerre d’Algérie et ses horreurs. Un conflit atroce encore dans bien des mémoires, même si certains épisodes ont été plus oubliés que d’autres. Le parcours de Fernand Iveton est au centre de ce film militant de Hélier Cisterne. De nos frères blessés, adapté du roman de Joseph Andras (Actes Sud), raconte la détermination d’un jeune militant communiste, d’origine européenne, mais né à Alger et solidaire de la lutte pour l’indépendance. 

Pour atténuer la dureté du récit, le réalisateur l’humanise avec la rencontre et le coup de foudre pour Hélène (Vicky Krieps), mère célibataire polonaise réfugiée en France pour fuir le régime communiste. Des moments de joie, de bonheur, d’équilibre, qui ne durent pas. Une fois de retour à Alger, avec sa femme et son fils adoptif, Fernand Iveton, tout en travaillant comme ouvrier dans une usine, milite au parti communiste algérien et, rapidement, décide d’aider les insurgés. Malgré les craintes de son épouse, il décide de passer à l’action. Il place dans un local désaffecté de son entreprise une bombe qui doit exploser une fois le personnel parti. Mais l’engin est découvert et Fernand arrêté. 

Torture et justice expéditive

Le film se transforme, alors, en réquisitoire contre les mesures d’exception décrétées par l’État français à l’époque et appliquées avec zèle par la police, l’armée et la justice. Torturé, Fernand avoue. Traduit devant un tribunal militaire, il est condamné à mort après un simulacre de procès. Il a encore l’espoir d’être gracié, car il n’a pas de sang sur les mains. Mais le garde des Sceaux de l’époque, François Mitterrand, émet un avis négatif. Fernand sera guillotiné moins de trois mois plus tard. D’une rare efficacité dans sa construction, De nos frères blessés, plus que la dénonciation des exactions de l’État français de l’époque, est un vibrant plaidoyer contre la peine de mort.

Film franco-algérien de Hélier Cisterne avec Vincent Lacoste, Vicky Krieps, Jules Langlade

 

mercredi 26 octobre 2022

BD - Quelques séries au long cours à découvrir ou redécouvrir

Les amateurs de bande dessinée sont de plus en plus attirés par les valeurs sûres. On assiste donc en fin d’année, avant les fêtes, à une déferlante d’albums de séries confirmées et de reprise ou retour de grands anciens. Un phénomène une nouvelle fois très présent cette année même si c’est une année « sans » Astérix ni Blake et Mortimer, champions toutes catégories des BD grand public.

Parmi les retours, on retrouve avec un plaisir non dissimulé la très féministe bien avant l’heure Adèle Blanc-Sec. Tardi a attendu 15 ans pour livrer à ses fans la suite du Labyrinthe infernal. Dans Le Bébé des Buttes-Chaumont (Casterman, 64 pages, 14,50 €), l’héroïne se retrouve confrontée à une armée de clones qui se font exploser à côté de pontes pour la faire accuser. Toute la fantaisie de Tardi, sa noirceur aussi, se retrouve dans cet album, peut-être dernier chapitre d’une série qui a marqué la BD française de ces 50 dernières années même si au total il n’y a que 10 tomes de disponibles. 


Valérian aussi est de retour. La mort de Mézières a mis fin à la série classique mais Christin, sur l’insistance de Virginie Augustin, a écrit un ultime chapitre des aventures des agents spatiotemporels. Ils vont retourner en enfance. 


Une histoire qui va là aussi jouer à fond sur le côté nostalgie des collectionneurs de la série. Et c’est un juste retour des choses si c’est une dessinatrice qui anime cette dernière aventure car depuis quelques titres, c’est Laureline qui en est devenue la véritable héroïne. Là où naissent les histoires (Dargaud, 56 pages, 13,50 €), est la suite logique du dernier album mais reste un titre en dehors de la collection classique. 

Dans les librairies vous pourrez retrouver depuis le mois dernier Corto Maltese (voir l’Indépendant du 25 septembre) ainsi que deux grands anciens de la BD franco-belge qui ont longtemps animé les pages de l’hebdomadaire Tintin. Mais la mort des créateurs a poussé les éditions du Lombard de retrouver des repreneurs. 


Le tome 6 des nouvelles aventures de Ric Hochet, Le tiercé de la mort (Le Lombard, 48 pages, 12,95 €), plonge le journaliste détective dans le monde des courses hippiques. Un héros plus moderne grâce à Zidrou au scénario et Van Liemt au dessin. 


Autre héros qui a marqué certains adolescents dans les années 60 à 80 : Bruno Brazil. L’espion américain a repris du service sur des scénarios de Bollée et des dessins de Aymond. 


Direction le pôle Nord pour le Commando Caïman dans Terreur boréale à Eskimo Point (Le Lombard, 56 pages, 15,45 €) pour affronter des ours blancs mais aussi quelques « méchants » de la pire espèce. Et ces quatre nouveautés ne doivent pas vous faire oublier que chaque série possède des dizaines de titres à redécouvrir !


 


Séries télévisées à gogo sur 6Play


Les amateurs de séries ont trop tendance à se précipiter vers les plateformes payantes. Or les grandes chaînes généralistes ont développé au fil des ans des sites et applications qui fonctionnent parfaitement sur les téléviseurs connectés et proposent, juste en échange de la création d’un compte et de quelques secondes de pub en début de programme, des dizaines et des dizaines de programmes. Au début, on ne trouvait que le replay des épisodes diffusés dans la semaine. Mais petit à petit, des intégrales ont fait leur apparition et viennent donner une occasion supplémentaire pour passer des heures et des heures connectés sur ces sites. France.tv est en pointe, mais 6Play, qui reprend les programmes des chaînes du groupe M6, est de plus en plus riche en exclusivité. 

Petit tour d’horizon des nouveautés et de ce que vous seriez idiot de rater.

On commence par une petite exclusivité en avant-première. La bande dessinée Dad (9 albums aux éditions Dupuis) de Nob, auteur résidant dans les Pyrénées-Orientales, vient d’être adaptée sous forme de dessin animé. La saison 1, de 52 épisodes de 11 minutes, sera diffusée tous les mercredis matin à 9 h 10 à partir du 12 octobre. Mais vous pouvez déjà découvrir trois aventures des Filles de Dad sur 6Play. L’occasion de rire des déboires de ce papa poule débordé par ses quatre filles, Panda l’intello, Ondine la volcanique, Roxane l’espiègle et Bébérénice, la petite dernière. 

Plusieurs séries issues de la BBC viennent de débarquer en intégralité sur le site. Notamment de grandes sagas en costumes comme Jane Eyre ou Bienvenue à Sanditon. Un peu d’exotisme aussi avec La folle aventure des Durrell : En 1935, Louisa Durrell se retrouve veuve et criblée de dettes. Elle décide alors de quitter l’Angleterre avec ses quatre enfants : direction l’île grecque de Corfou. Dans ce nouveau décor paradisiaque, c’est la vie de toute la famille qui est bouleversée du jour au lendemain. Quatre saisons de six ou huit épisodes avec en vedette Keeley Hawes, Milo Parker ou Josh O’Connor. 

Vous trouverez également depuis peu sur 6Play l’intégrale des Musketeers, adaptation très libre des Trois Mousquetaires en trois saisons et 30 épisodes au total. Les amateurs de science-fiction ne sont pas délaissés puisque Misfits, l’histoire de cinq jeunes qui sont dotés de superpouvoirs par hasard, rejoint aussi cette offre de série en intégrale. Et puis côté humour, vous avez le choix entre les séries maisons (Kaamelott, Scènes de ménages) et des classiques indémodables. Dans cette catégorie, retrouvez la bonhomie des années 60 avec Ma sorcière bien-aimée interprétée par la regrettée Elizabeth Montgomery. 254 épisodes et un petit nez inoubliable.

(édit : M6 play est devenu depuis 2024 M6+ )


mardi 25 octobre 2022

BD - Dad se démultiplie


Sous huit couvertures différentes, Dad, le papa poule imaginé par Nob, est de retour dans les librairies. Il se grime en Dragon Ball, Obélix, Batman et autre héros de la jeunesse actuelle. 

Une opération marketing qui ne doit pas cacher l’essentiel : la qualité de cette série qui raconte avec humour et gentillesse, le quotidien de ce père de quatre filles avec quatre mères différentes. Trois d’entre elles ne vivent plus avec lui. 

Et le comédien au chômage déprime. Comment occuper son temps sans ces chipies dans les pattes ? On compatit. On rit aussi… 

« Dad » (tome 9), Dupuis, 11,90 €


DVD et Blu-ray - Dans le "Vortex" avec Gaspar Noé


Gaspar Noé n’est pas le cinéaste de la facilité. Chacune de ses œuvres se mérite. Le public est mis à l’épreuve quand il aborde des thèmes violents ou sexuels. Dans Vortex, qui sort en vidéo chez Wild Side, l’effort demandé aux spectateurs est différent. Durant 2 h 20, on assiste au naufrage de la vieillesse. C’est rude, émouvant, impitoyable. Dans un appartement parisien, débordant de souvenirs et de livres, un vieux couple survit tant bien que mal. Tout le film montre deux images en parallèle : ce que fait et vit la femme mais aussi ce que fait et vit le mari. 

Cela débute normalement.   La femme (Françoise Lebrun), se lève et va préparer le café. Ensuite elle s’habille et descend sortir la poubelle. La suite est plus problématique. Elle va dans un petit magasin et reste de longues minutes devant les jouets. Puis erre dans les rayons, le regard vide. L’homme (Dario Argento), après avoir bu son café se met à sa table de travail et continue la rédaction de son livre sur le cinéma et les rêves. Et puis il s’inquiète et part à la recherche de son épouse. Elle est malade, perd la tête. 

C’est cette lente descente aux enfers, pour eux deux et le fils (Alex Lutz), qui est radiographiée dans un film qui nous happe tel un cauchemar dont on ne sait pas s’extraire.