Louis est un soldat français vivant l'enfer des tranchées en 1916. Lorette, en 1951, est une jeune apprentie dactylo découvrant la vie et l'amour dans le bouillonnement de Saint-Germain-des-Près. Louis et Lorette écrivent beaucoup. Presque chaque jour. Louis à sa mère, son frère, ses amis. Lorette à son père, ses amies, son amant ou dans son journal intime. Au total ce sont 66 lettres qui composent ce roman de Cécile Ladjali. 66 occasions pour le lecteur de mieux comprendre le quotidien des deux personnages principaux de ces histoires parallèles n'ayant rien en commun si ce n'est, durant un bref laps de temps, la mère de Lorette qui fut confidente de Louis.
Les mensonges de Louis
D'un côté les tranchées, la mort, la folie. De l'autre la fraîcheur d'une jeune femme mordant dans la vie à pleines dents. Si Louis raconte la vérité à ses amis, il ment à sa mère, pour ne pas l'inquiéter. A Ferdinand, un camarade, Louis explique le 16 janvier 1916, « Hier on a joué au rugby, et pas pour rire. Le sergent lançait le ballon en cuir sous la mitraille et il fallait courir après. Marquer un essai ou se faire déchiqueter par un obus. La guerre avait des faux airs de jeu. Une espèce de cirque antique dans les résurgences du carnage. »Lorette, en plus de ses cours, tape des lettres pour quelques amies rencontrées dans le quartier. Elle tient régulièrement au courant son père, rédacteur en chef d’un journal en province, de ses améliorations. Et puis un soir, dans une boite de jazz, elle tombe sur Jack, un musicien anglais. Coup de foudre. Quelques jours plus tard elle confie à son journal intime : « Jack était joli comme le Baron noir. On a fait l’amour toute la nuit avant son départ pour l’Angleterre et papa ne le saura pas ». Plus loin elle remarque qu’elle « tousse beaucoup ». Quelques analyses après, le verdict est redoutable : tuberculose.
La lassitude de Lorette
Louis a de plus en plus de difficulté pour cacher à sa mère la réalité de sa condition. « Petite maman, écrit-il fin mars, il faut que je cesse de te mentir car cela va me porter la poisse. Je te fais croire depuis des mois que les choses vont bien, or elles sont atroces. (…) Le présent, l’atroce présent, nous fait regretter tout acte passé et nous conduit à détester l’avenir. On maudit toujours ce que l’on ne connaîtra pas. L’envie rétrécie l’âme. J’ai l’âme rétrécie, maman. » Louis a perdu beaucoup de camarades au front. Il a eu beaucoup de chance, mais un jour, un jour comme les autres, il est lui aussi blessé et fait prisonnier par les Allemands. Cela ne l’empêche pas de continuer à écrire à ses proches. Des missives poignantes et pathétiques.
Lorette va se soigner sur la côte d’Azur. Elle se sent de plus en plus faible, assiste impuissante à l’agonie de ses nouvelles amies, n’a plus de nouvelles de Jack. Ses lettres ont perdu la fraîcheur du début, la lassitude gagne, le découragement s'installe.
Les destins de Louis et Lorette s’accomplissent inexorablement sous les yeux du lecteur qui, au fil des lettres, pénètre de plus en plus dans l’intimité, voire l’inconscient des deux personnages. Cécile Ladjali semble avoir totalement habité ses deux créatures de papier, tant et si bien que l’on se surprend à douter de leur non-existence…
« Louis et la jeune fille », Cécile Ladjali, Actes Sud, 17,50 €
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