lundi 16 février 2015

Cinéma - Des « Merveilles » italiennes fantasmagoriques et oniriques

Une famille se décompose face aux défis du futur.


Récompensé du Grand Prix du Jury au dernier Festival de Cannes, « Les Merveilles » d’Alice Rohrwacher est un film hors du temps, gracieux, onirique et fantasmagorique. Un diamant à l’état brut, qui brille dans l’obscurité, aveugle même en plein soleil. De ces œuvres qui restent longtemps dans les mémoires, comme des souvenirs enfouis au plus profond de notre mémoire mais qui jamais ne s’effacent complètement. Il y est question de merveilles mais surtout de mémoire, du temps passé, de l’oubli et de la perte d’identité. Une somme de thématiques, toutes abordées avec cette subtilité italienne si efficace quand elle est utilisée à bon escient.


La maison est délabrée. Toute la famille y vit un peu entassée, comme les anciennes tribus. Il y a le père (Sam Louwyck), la mère (Alba Rohrwacher, sœur de la réalisatrice) et leurs trois filles. La plus grande, Gelsomina (Maria Alexandra Lungu) devrait profiter de son adolescence. Mais elle est sans cesse réquisitionnée par son père pour les travaux de l’exploitation. La famille vit du miel produit par quelques dizaines de ruches disséminées dans cette campagne de la région d’Ombrie. Il faut le collecter puis, à la ferme, l’extraire et le conditionner. Un travail quasi 24 heures sur 24 qui obsède Gelsomina.
Ce quotidien parfaitement réglé, loin de l’agitation de la ville et de la vie moderne, est brouillé par deux événements. Pour gagner un peu plus d’argent, le père accepte d’accueillir un jeune délinquant allemand placé par une association. Martin, silencieux et casanier, en plus de rapporter une petite somme, sera parfait pour réaliser les travaux de force dans l’exploitation. Au même moment, une équipe de télévision vient faire des repérages dans cette campagne préservée pour tourner une émission de téléréalité sur la richesse de ce terroir préservé. Gelsomina et sa sœur Marinella sont subjuguées par la présentatrice, Milly Catena (Monica Bellucci), sorte de déesse des temps anciens à la tunique immaculée et aux longs cheveux blonds.

La réalisatrice va lentement dérouler son intrigue, entre hésitations des filles, renoncement du père, et envie d’émancipation de la mère. Comme si la conjugaison de tous ces événements marquait la fin d’une époque, d’une vie. Les images sont d’une rare beauté, notamment quand interviennent les milliers d’abeilles, symboles de cette campagne en pleine déliquescence pour cause de modernité. Un film beau, tout simplement.

BD - La Terre contre la Lune selon Stefan Wul


La collection consacrée aux romans de Stefan Wul s'enrichit d'un nouvel opus. Adapté par Thierry Smolderen et dessiné par Laurent Bourlaud, il s'agit du premier roman écrit par ce Français, pharmacien de province dans le civil, devenu en moins de dix ans un formidable conteur à l'imagination foisonnante. Jâ Benal, espion à la solde du gouvernement de la terre, est envoyé sur la Lune devenue depuis trois siècles une gigantesque prison. Ce savant a pour mission de découvrir comment le gouvernement lunaire entend détruire la Terre. Entre espionnage, romance et pure science-fiction, cette première réalisation de Stefan Wul a intéressé Smolderen par son côté feuilletonesque. 
Sans aucune expérience, l'écrivain en devenir s'est lancé dans l'écriture sans le moindre plan ni idée de fin. Il s'est simplement laissé guider par les personnages et les événements. Un côté naïf et un peu foutraque qui pourtant fonctionne relativement bien. L'intérêt assez limité de cette œuvre de jeunesse est rehaussé par la réalisation graphique très novatrice de Laurent Bourlaud. 
Cela fait penser parfois au constructivisme soviétique, avec des morceaux de Brick Bradford, archétype de la science-fiction américaine des années 30. Un album un peu déroutant au début, notamment en comparaison avec les autres titres de la collection, plus classiques, mais parfaitement adapté au ton du récit entre grandiloquence et réflexion humaniste.

« Retour à zéro », Ankama, 14,90 €


dimanche 15 février 2015

BD - Le rôle de Pinkerton dans l'horreur de la guerre civile américaine


En décidant de retracer les aventures d'Allan Pinkerton, Rémi Guérin (scénario) et Damour (dessin) racontent en fait les pages noires et cachées de la création des États Unis d'Amérique. Ce nouveau dossier porte sur le « massacre d'Antietam ». Bataille cruciale dans la guerre de Sécession, elle est connue comme la plus sanglante de l'histoire du pays. Les blessés se comptent par dizaines de milliers et 3 600 hommes perdirent la vie en ce 17 septembre 1862. 
Les auteurs imaginent que Pinkerton est au centre de ce fait d'arme fédérateur pour la victoire du Nord. Ses agents, infiltrés dans le camp du général Lee, subtilisent ses plans de bataille. Un avantage de taille mais qui n'est pas exploité par les officiers nordistes, vexés qu'un civil soit plus efficace qu'eux. Il reste que Lincoln, ami de Pinkerton, a profité de cette demi-victoire pour enfin abolir l'esclavage dans le pays, donnant un nouvel élan à son camp. 
Très bien documentée, cette BD donne également l'occasion à Damour de dessiner des scènes de bataille spectaculaires. On devine dans son trait toute la violence de ces affrontements fratricides.

« Pinkerton » (tome 3), Glénat, 13,90 €

samedi 14 février 2015

BD - Holly Ann, Détective de Louisiane


La Nouvelle-Orléans, son bayou, ses musiciens, ses légendes. Pour connaître tous les secrets de cette ville multiethnique, il faut obligatoirement passer par Holly Ann. Cette jeune femme, une quarterone (un quart de sang noir dans les veines) d'une rare beauté comme le sont souvent les métisses, est officieusement la meilleure détective privée de la ville. Le récit se déroule à la fin du 19e siècle et les tensions entre communautés sont encore très vives. Un riche fermier est au désespoir. Son fils a disparu. 
Holly Ann se rend sur place et se renseigne. Rapidement elle découvre que l'enfant n'est pas seul à avoir déserté la plantation : un jeune noir, chargé de sa surveillance et de celle de sa jeune sœur, est lui aussi porté manquant. La découverte du cadavre de l'enfant, victime d'un rituel vaudou, va rapidement mettre la ville en effervescence. 
Écrite par Kid Toussaint, cette enquête policière est dessinée par Stéphane Servain. Son trait fluide et puissant s'adapte parfaitement aux ambiances chaudes et angoissantes de ce monde secret. Quant à Holly Ann, présentée comme une nouvelle Adèle Blanc-Sec, elle a tout pour séduire de nombreux lecteurs.

« Holly Ann » (tome 1), Casterman, 13,50 €

vendredi 13 février 2015

DE CHOSES ET D'AUTRES - Police ! Game over !


Etrange aventure que celle arrivée mardi soir à Hubert Skrzypek connu sous le petit nom de Bibix dans le monde des gamers, ces geeks fans de jeu vidéo au point de se montrer en direct sur la plateforme Twitch. Casque sur les oreilles, Bibix se bat contre une horde de zombies affamés. La tension est extrême quand on frappe à sa porte. Exactement, on défonce sa porte d'entrée. Le reste de la scène est enregistré et repris sur tous les réseaux sociaux. Ce ne sont pas des zombies venus boulotter le cerveau de Bibix mais plus prosaïquement une équipe de la BAC (brigade anticriminalité) en pleine intervention. Mis en joue, Bibix, forcé de mettre les mains sur la tête, est menotté derechef par les fonctionnaires de police. Interloqué, il demande quand même pourquoi on l'arrête. Pas de réponse. Et puis il percute enfin : un canular, il s'agit d'un simple canular. Pourtant les menottes semblent diablement réelles et les policiers excellents acteurs. 
Et pour cause, eux aussi sont des pigeons dans l'affaire. Bibix est le premier Français victime d'un « swatting ». Aux USA la mode fait des ravages. Le but de ce bête défi consiste à persuader la police d'intervenir en urgence dans un appartement où un crime serait en cours. Les fameux « Swatt » déboulent en force dans la maison. Que l'opération soit diffusée en direct sur le net rajoute un plus indiscutable. Dans le cas de Bibix, le pirate a usurpé son identité au téléphone et expliqué aux policiers qu'il venait de trucider sa femme... Des zombies d'accord, sa copine, jamais ! Moralité, si Bibix a la malchance d'être attaqué par de vrais méchants, son appel risque fort de passer à la trappe.  

DE CHOSES ET D'AUTRES - Autotestez votre sperme

Je ne sais pas si c'est la Saint-Valentin, le procès du Carlton ou la sortie du film « Cinquante nuances de Grey », mais il me semble que tout tourne autour du sexe ces derniers jours. Pas celui sibyllin des anges, mais bien de « l'amour propre », comme l'a si talentueusement dessiné Martin Veyron, même s'il « ne le reste jamais longtemps... ». Dernière information en date qui m'interpelle, la mise en vente dans les pharmacies françaises de SpermCheck, « le premier autotest rapide de fertilité masculine à réaliser chez soi en toute intimité ». Un peu comme un test de grossesse, mais en inversé. Déjà vendu aux USA et en Grande-Bretagne, ce produit coûte entre 35 et 39 euros (non remboursés) et semble d'un maniement enfantin. Il suffit de mélanger un peu de sperme à une solution spéciale, placer six gouttes sur le lecteur et attendre sept minutes (le timing doit être très précis pour en assurer la fiabilité) pour lire le résultat. Deux barres rouges, bingo, vous avez plus de 15 millions de spermatozoïdes par millilitres, vous êtes parfaitement fertile. Une seule, vos potentiels petits descendants sont beaucoup moins nombreux qu'ils ne devraient l'être. Mieux vaut consulter...

Simple certes, mais comment obtenir ce sperme à tester ? Il n'y a pas cinquante solutions me souffle M. Grey en poussant du coude DSK qui se marre... En réalité, la seule et véritable difficulté réside dans cette action qui, tout en étant éminemment naturelle depuis la nuit des temps, est souvent jugée immorale et contre nature.  

jeudi 12 février 2015

Cinéma - Les nouveaux petits génies de l'univers Disney

Un gamin surdoué met au point de mini-robots révolutionnaires. Une invention qu’un méchant détourne de son but premier. Place aux « Nouveaux héros ».

Disney, après une mauvaise passe, revient dans le jeu des grandes et belles productions, capables de marquer durablement l’imaginaire de millions d’enfants. Après « La reine des neiges » et avant le retour de Starwars en décembre, place aux « Nouveaux héros », film en 3D issu de l’univers des comics Marvel. Dans un San Francisco transformé en ville japonaise, le jeune Hiro, surdoué des mathématiques, délaisse ses études pour construire des robots combattants. Il participe ainsi à des combats clandestins (et illégaux) qu’il remporte haut la main, tant ses inventions sont efficaces et surtout semblent inoffensives. Même chez les robots, l’apparence a son importance avant la bagarre, tout est une question de confiance...
Le grand frère de Hiro, désespéré de voir ce talent gâché, le convainc d’aller au moins une fois dans l’université où il fait ses études. Là, c’est le coup de foudre. Tant pour le professeur Callaghan, une sommité voire une légende en robotique, que pour les autres étudiants, tous plus bizarres les uns que les autres. Hiro va rencontrer aussi pour la première fois Baymax, le robot infirmier que son frère est en train de mettre au point. Cette grosse boule de baudruche se révèle rapidement le véritable personnage principal du film. Celui qui offre les plus de possibilités d’évolution pour porter l’intrigue vers un film plus palpitant et émouvant.

Baymax, mon héros...
Hiro va réussir à intégrer l’université, mais son bonheur sera de courte durée. En plus d’un deuil familial (spoiler à ne surtout pas révéler même s’il arrive assez tôt dans l’histoire), une de ses inventions, de mini-robots à l’efficacité démultipliée comme une colonie de fourmis, est dérobée par Yokaï, méchant absolu bien décidé à détruire la ville avec. Pour le contrer, Hiro va perfectionner Baymax et transformer ses amis étudiants en super-héros aux pouvoirs étonnants.
L’ensemble fonctionne parfaitement. Les décors somptueux savent laisser la place à l’émotion et surtout la bande qui se forme est pleine de promesses. De GoGo Tomaso, la fille aux rollers en passant par Wasabi, le rasta maniaque ou Fred, le nonchalant rêveur, chaque personnage secondaire a suffisamment de corps et de potentiel pour devenir à tour de rôle vedette d’une suite qui ne devrait pas tarder. Sans oublier Baymax (doublé par Kyan Khojandi), le gentil robot si doudou, idéal en produit dérivé et assurément future vedette au long cours de l’univers Disney.


Bref, je suis un robot infirmier

Dans la version française, la voix de Baymax, le gentil robot infirmier est confiée à Kyan Khojandi. Le créateur de la série « Bref » a beaucoup apprécié cette première collaboration avec l’univers Disney. « Mes deux films préférés sont Dumbo et le Roi Lion. En fait, Baymax est un humain qui a une voix de robot. Tout ce qu’il dit c’est avec bienveillance et gentillesse. » Le jeune réalisateur devenu acteur s’est parfaitement reconnu dans le rôle. « On peut obtenir beaucoup avec un “s’il te plaît” et un “merci”. C’est une philosophie que j’ai toujours appliquée. On devrait s’entraîner à sourire... » On trouve un peu la pâte Khojandi dans quelques improvisations comme le « Puka Puka Puk » qui a toutes les chances de devenir culte. De même, quand Baymax n’a quasiment plus de batterie, son élocution balbutiante est une pure improvisation.
Cette parenthèse refermée, Kyan Khojandi va retourner à ses premières amours. « Je travaille à l’adaptation ciné de “Bref”. Mais je fais également des apparitions dans des films de copains comme “Nous trois ou rien ”. »



mercredi 11 février 2015

DVD - Emmanuelle n'a pas vieilli


Alors que sort sur grand écran « Cinquante nuances de Grey », Studiocanal propose la réédition en DVD et blu-ray de ce qui s'est fait de mieux dans le cinéma érotique : « Emmanuelle ». Sylvia Kristel y dévoile ses courbes et son appétit féroce pour les jeux de l'amour. Loin d'avoir vieilli, ce film de Just Jaeckin prouve que le sexe est par excellence un sujet qui traverse les époques. 
On remarquera d'ailleurs que comme Emmanuelle, Cinquante nuances de Grey est l'adaptation d'un roman. Les images c'est bien pour la libido basique, mais rien ne vaut un bon texte suggestif pour enflammer les sens...

« Emmanuelle », Studiocanal, 9,99 euros


mardi 10 février 2015

DE CHOSES ET D'AUTRES - Facteurs à tout faire...

Il y a parfois des baffes qui se perdent dans certaines administrations chargées de penser le futur de la société française. Notamment dans le petit cercle des technocrates dont le seul but consiste à trouver de nouvelles occupations aux agents de la Poste. Comme le volume de courrier à distribuer est en diminution, les statistiques sont irréfutables, ils sont persuadés que les facteurs n'ont plus rien à faire. C'est oublier un peu vite que les tournées sont de plus en plus longues pour cause de réduction d'effectif. Mais ça, c'est une broutille pour ces génies de la prospective. 
Alors ils inventent. Tout et n'importe quoi. Comme confier aux facteurs l'examen du permis de conduire. Certes, ils sillonnent les routes sans arrêt, mais de là à remplacer des examinateurs assermentés, le gouffre est de taille. Localement, la Poste a décidé de transformer ses agents en « ambassadeurs du tri sélectif ». 
Logique vous me direz. Après avoir raflé certains marchés de distribution de prospectus publicitaires, la Poste va expliquer à ses usagers comment jeter immédiatement ces tonnes de papiers inutiles directement dans les poubelles jaunes. Une sorte de raccourci très symbolique d'une certaine conception du gaspillage made in France... 
Ne doutons pas que d'autres métiers secondaires vont se rajouter aux tâches des facteurs. Pourquoi ne pas relever les compteurs EDF, sortir les chiens pour qu'ils fassent leurs besoins, conduire les enfants à l'école, arroser les bacs à fleurs communaux... Le facteur français deviendra alors une sorte de « fonctionnaire couteau suisse » et au bout du compte, perdra son identité.
Chronique parue le 10 février en dernière page de l'Indépendant. 

lundi 9 février 2015

BD - Monde sauvage et primitif


Quand on parle d'enfant sauvage, on ne retient que l'histoire de Victor, le jeune découvert en Aveyron et dont François Truffaut a transformé l'existence (et surtout le retour à la vie civilisée) en chef-d'œuvre du cinéma. Mais il existe plusieurs cas similaires. 
Ce gros roman graphique de plus de 200 pages est la biographie de Marie-Angélique Le Blanc, née en 1712 aux Amériques et morte en 1775 à Paris. Morvan et Bévière, les scénaristes, se sont librement inspirés du livre de Serge Aroles. Gaëlle Hersent assure la mise en images. 
En Champagne, des chasseurs découvrent au bord d'une rivière le cadavre d'une jeune Noire. A ses côtés, ce qu'ils prennent pour un démon. En réalité c'est une fillette retournée à l'état sauvage. Quelques jours plus tard, la faim la pousse à s'approcher des habitations. Capturée, elle est confiée au noble du village. Celle qui n'a pas de nom (elle ne sait pas parler) devient la sauvageonne qui mange de la viande crue qu'elle chasse à main nue (lapin, grenouilles...) et dort à même le sol. Mais en 1731, toute créature de Dieu doit recevoir un enseignement religieux. Elle est placée dans un couvent et sous la férule de rigides sœurs, acquiert des rudiments de langage et de maintien. Par contre, côté alimentation, elle ne supporte pas les aliments cuits et dépérit dès qu'elle n'ingurgite plus sa ration de chair saignante. 
D'où vient-elle ? Par quelles épreuves est-elle passée ? Les auteurs alternent avec brio les scènes actuelles avec les retour sur le passé de celle qui se nomme en réalité Louve quand elle était dans une tribu indienne au Canada puis Marie-Angélique après son adoption par des colons français. Passionnante, cette vie de souffrance et d'errance donne matière à une BD d'une exceptionnelle densité. 
Au dessin, Gaëlle Hersent, pour sa première réalisation, place la barre très haut. Elle alterne les ambiances et les époques avec une même constance : rendre cette femme aussi mystérieuse qu'attachante, aussi sauvage que torturée par un secret inavouable.
« Sauvage », Delcourt, 24,65 €