mardi 8 octobre 2013

NET ET SANS BAVURE : Les Chinois et moi

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"Sept cent millions de Chinois. Et moi, et moi, et moi" chante Jacques Dutronc. En réalité, sur le net, ils sont deux millions de Chinois exactement. Deux millions d'employés d'agences gouvernementales chinoises qui chaque jour espionnent les blogs, sites et réseaux sociaux à la recherche des propagateurs de « fausses rumeurs ». Deux millions de censeurs en action. En Chine on ne plaisante pas avec le franc-parler. Au risque de se retrouver rapidement en prison. Il est loin le temps des dazibao, ces journaux-affiches derniers vestiges de la liberté d'expression « made in China ». Désormais, si l'un de ces espions découvre qu'une « fausse rumeur » a été reprise plus de 500 fois, l'instigateur encourt une peine de trois ans d'emprisonnement. Le terme « fausse rumeur » correspond dans les faits à toute information non officielle, vous l'aurez compris.

On ne se félicite jamais assez de notre chance de vivre en démocratie. Transposé en France, ce système obligerait à construire de nouvelles prisons. Sur Twitter, les 3000 abonnés du compte @flambyland feraient moins les intéressants à se moquer du président. Sur Facebook, les 52 000 adeptes de la page « Peine de mort pour la mère et le beau-père de Fiona » tiendraient compagnie à ces derniers en cellule. Quant aux anti mariage pour tous, depuis le 26 mai et l'adoption de la loi, ils feraient mieux de la mettre en veilleuse. Ou d'émigrer en Russie ou en Chine. Au moins là-bas ils seront dans l'idéologie officielle...
Chronique "Net et sans bavure" parue ce mardi en dernière page de l'Indépendant.

BD : La famille de Nävis

sillage, navis, morvan, buchet, delcourt
Au rythme soutenu d'un album par an, Jean-David Morvan et Philippe Buchet font vivre le monde de Sillage. Des aventures spatiales épatantes avec en toile de fond la quête de Nävis, dernière terrienne, autour de son identité. Les aléas du convoi (immense train de vaisseaux spatiaux dérivant dans la galaxie) sont un peu mis de côté pour recentrer l'intrigue sur la belle et fougueuse orpheline. Celle qui a longtemps cru être la dernière représentante de son espèce a finalement retrouvé quelques humains. Un contact de courte durée mais qui lui a permis de découvrir l'amour et d'avoir un enfant. Oui, Nävis maman ! Que les fans se rassurent, l'aventurière ne va pas remiser ses sabres pour les couches culottes. Morvan, le scénariste, a trouvé la parade non seulement pour éviter la grossesse, l'accouchement et l'allaitement, mais également l'enfance du marmot. C'est un adulte, aussi impétueux qu'elle, que Nävis découvre au détour d'un complot. Et dans ce 16e tome, ils ne seront pas trop de deux pour sauver Sillage d'une destruction programmée. Beaucoup de baston, des aliens en pagaille et quelques pleurs : un savant dosage pour une série devenue incontournable.

« Sillage » (tome 16), Delcourt, 13,95 €

lundi 7 octobre 2013

BD : Dernières promenades de Valérian et Laureline

Valérian, Laureline, Christin, Mézières, Dargaud
Valérian et Laureline, après plus de 30 ans de bons et loyaux services dans l'espace-temps, ont tiré leur révérence. Terminé les grandes aventures imaginées par Pierre Christin et dessinées par Jean-Claude Mézières. Les héros n'ont quasiment pas vieillis, ce qui n'est pas le cas des auteurs. Mais difficile de parler retraite. D'autant que les fans sont encore nombreux. Christin et Mézières ont donc accepté de reprendre du service pour un album composé de petites histoires comme autant de scènes bonus des 21 précédents titres. On découvre la vie de Laureline avant sa rencontre avec Valérian, le premier contact des Shingouz avec le duo d'aventuriers ou ce que sont devenus les anciens Héros de l'équinoxe. Mais cet album vaut surtout pour les doubles pages de présentation des histoires : de véritables tableaux en couleurs directes signés Mézières, un génie parmi les grands.

« Souvenirs de futurs », Dargaud, 11,99 €

dimanche 6 octobre 2013

BD : "Mauvais genre", l'histoire d'un couple maudit par Chloé Cruchaudet

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La guerre 14/18 a laissé de profondes plaies dans la société française. Visibles et cachées. Dans « Mauvais genre », Chloé Cruchaudet raconte, sans pathos, le terrible destin de Paul et Louise. Marié juste avant son départ sur le front, Paul plonge dans un cauchemar sans fin. On retrouve les classiques de la guerre des tranchées : morgue des gradés, rats, famine, cadavres... Suffisamment pour pousser Paul à se mutiler (un doigt en moins, l'index pour ne plus pouvoir appuyer sur la gâchette). Mais cela ne suffit pas. Il déserte et va se cacher dans une chambre d'hôtel en région parisienne. Il va y rester plusieurs semaines avant de craquer et sortir. Mais pour ne pas être pris, il se déguise en femme. Voilà comment Paul se transforme en Suzanne. La vie du couple est radicalement modifiée, Paul découvrant les joies du travestissement et de l'amour libre. Une mascarade qui durera toute la guerre. C'est à l'armistice que cela se complique. Un récit captivant tiré d'une histoire vraie.

« Mauvais genre », Delcourt, 18,95 €

samedi 5 octobre 2013

NET ET SANS BAVURE : Extrêmement adroite

marine le pen, extrême droite, front national, fn, twitter

Volée de bois vert pour Marine Le Pen sur Twitter. Durant près de deux jours le mot-dièse #MarineLePenNestPasDextremeDroiteEtMoi fait la course en tête. Tout est parti d'une explication de texte de la leader du Front national. «Je m'élève contre la formulation d'extrême droite» clame-t-elle devant des journalistes, menaçant même de poursuivre en justice ceux (les journalistes notamment...) qui lui attribuent cette étiquette politique. Le FN prônant le politiquement correct, on aura tout vu. Extrême droite ça fait « crade », il faut le remplacer par « ni droite ni gauche », voire « patriote ». Tout cela reste quand même « extrême ». Et sur Twitter les comparaisons fusent. Marine Le Pen n'est pas d'extrême droite et moi « j'ai une licorne dans mon jardin », « je suis Jimi Hendrix », « je ne suis pas humaine », « je suis le fils aîné du pape », « je pense que Nadine Morano sera la prochaine femme à reposer au Panthéon », « je joue aux échecs tous les jeudis avec Elisabeth II. Ou avec le Pape, quand elle est pas libre »... Des milliers de comparaisons toutes plus irréalisables les unes que les autres. Certains profitent de l'occasion pour tacler le gouvernement actuel : « et moi je crois que François Hollande va sauver la France ».
Et puis il y a Claire Guichet, militante écologiste un tantinet énervée : « C'est pas sur Twitter qu'il faut dire que le FN est d'extrême droite. C'est au bistrot, au boulot, dans le métro, aux congrès de l'UMP… »
Pas faux. Mais une petite campagne virale ne peut pas faire de mal ! 
Chronique "Net et sans bavure" parue ce samedi en dernière page de l'Indépendant.

vendredi 4 octobre 2013

NET ET SANS BAVURE : Fantomatiques apparitions

alice, portland, fantome, google, grand-mère, souvenir, âme
Les amateurs de mysticisme et autres histoires fantastiques puisent dans une mine sans fond grâce a net. Pas une journée sans buzz autour d'une vidéo prouvant l'existence d'extra-terrestres ceci, de fantômes cela, experts en apparition floue à l'arrière plan d'une photo banale. Je soupçonne d'ailleurs Instagram d'avoir inventé un filtre « ghost » lequel permet de flouter le cliché et de rajouter un halo en transparence... On peut se moquer de ces hurluberlus en quête d'une vie supérieure, comme pour mieux exorciser leur train-train déprimant. Mais à côté, existent de belles et véritables histoires. Comme celle d'Alice, grand-mère américaine à Portland dans l'Oregon, devenue quasi immortelle pour ses petits-enfants... grâce à Google Street. Le moteur de recherche a photographié les rues quelques mois avant son décès. Sur l'image de la maison occupée par Alice, on la voit clairement, assise sur les marches de l'entrée. Décontractée, sereine, l'air heureux. Une image du passé qui perdure car la photo d'Alice devant sa maison est largement partagée, comme si l'âme de cette mamie américaine continuait ses facéties par réseau interposé. Âme ou fantôme, la frontière est ténue. Je fais mienne la définition donnée par Tristan Garcia dans son roman « Faber le destructeur ». « Comme une âme n'est rien d'autre qu'une mémoire racontée, et que tout ce dont nous nous souvenons est destiné à être oublié, toutes les âmes sont mortelles. » Celle d'Alice vit toujours. Au moins sur Google.    
Chronique "Net et sans bavure" parue ce vendredi en dernière page de l'Indépendant.  

jeudi 3 octobre 2013

NET ET SANS BAVURES : Rouge direct


Il y a deux ans, un match de la ligue des champions avec l'Olympique de Marseille attirait des millions de téléspectateurs sur TF1. Le foot à haut niveau ayant choisi la solution sonnante et trébuchante des chaînes payantes, rares sont ceux qui ont vu le naufrage des Marseillais mardi dernier. D'autant que Bein Sports ne passe pas sur tablette. Un tweet de Guy Carlier (humoriste parfait si l'on oublie qu'il aime le foot et Johnny Hallyday) m'a permis d'assister à la Berezina des Olympiens face au mur jaune et noir (exemple type de jargon sportif que seuls les initiés comprennent...).
Carlier demande à ses abonnés s'il n'existe pas un moyen simple de voir le match sur un « site exotique ». Après quelques tâtonnements il donne la solution qui tient en deux mots « rouge direct ». Je découvre alors la face cachée des retransmissions de foot sur le net.
Si les grands groupes audiovisuels paient des millions pour détenir l'exclusivité, des petits malins, tels des parasites, récupèrent les images et les diffusent en streaming sur leurs « sites exotiques ». Certes, il ne faut ni attendre de la haute définition, ni être allergique aux images figées par manque de bande passante. Mieux vaut également ne pas abhorrer les publicités incrustées un peu partout autour de l'image, voire dedans. Toujours possible de zapper. Par exemple le match Dortmund-Marseille était diffusé sur une dizaine de sites, mais les pubs s'en retrouvent démultipliées...
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Bon, on ne va pas se plaindre en plus. C'est gratuit. Très malhonnête, mais gratuit.  
Chronique parue en dernière page de l'Indépendant le jeudi 3 octobre. 

mercredi 2 octobre 2013

NET ET SANS BAVURES : GTA Vs sextoy

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Sorti il y a deux semaines, le cinquième opus du jeu vidéo GTA (Grand Theft Auto), en plus de rapporter des centaines de millions à ses concepteurs, est certainement la cause de quelques milliers de divorces. Plutôt destiné aux hommes, GTA s'avère d'emblée très addictif. Au point que certains en oublient complètement la vraie vie. Et délaissent leur compagne. Si tel est votre cas madame, allez donc faire un tour sur le site internet de vente d’accessoires sexy « Coquin-Malin » avant de contacter un avocat. Pensez auparavant à subtiliser la pochette du jeu. Vous pourrez, pour le prix d'une simple photo, gagner un sextoy d'une valeur de 16 euros. Le principe est enfantin. Vous -la délaissée- vous mettez en scène avec la jaquette du jeu GTA V. L'idéal : montrer combien ce jeu vous désespère depuis que votre mari-concubin-compagnon préfère explorer les bas-fonds de Los Santos dans une voiture volée en titillant sa manette au lieu de le faire sur toute partie de votre anatomie en manque de câlins... Ensuite, il vous suffit de publier la photo sur la page Facebook de Coquin-Malin ou de l’envoyer en remplissant directement un formulaire sur le site. Après tirage au sort, les pauvres laissées pour compte (chanceuses) pourront recevoir un « sextoy réaliste », à l'opposé de ce jeu virtuel.

Alors messieurs il est temps de vous reprendre. Et à ceux qui pensent que j'ai changé de camp, j'avoue le piège diabolique : le concours est terminé depuis le 30 septembre !
Chronique parue ce mercredi en dernière page de L'Indépendant. 

mardi 1 octobre 2013

BD : Mariage et conséquences dans "Vivisection" de Cisko K et Matt Dunhill

Vivisection, Treize étrange, Cisko K, Matt Dunhill
Être biologiste, chercheur sur la regénérescence des cellules de tritons exactement, n'aide pas spécialement à emballer des filles. Théo, Français expatrié en Suède, est de retour au village pour le mariage de sa sœur. L'occasion peut-être de rencontrer une belle cavalière ? Banco, il repère dans l'assistance un superbe blonde esseulée. Jackpot, c'est la mère de Théo qui la lui présente. Patatras, Claire, 15 ans, est sa cousine... Ce roman graphique entre science, psychanalyse et blagues potaches est écrit par Cisko K et dessiné par Matt Dunhill. Le premier est avant tout cinéaste. Il a travaillé sur nombre de courts-métrages et développe une série télé pour la jeunesse. C'est dans ce milieu qu'il a rencontré Matt Dunhill, illustrateur freelance, prof de bande dessinée à Paris. Une première collaboration étonnante, parfois déroutante, mais au final très aboutie. Le personnage de Théo, adulte encore oppressé par une mère castratrice, va s'épanouir dans ce mariage lourd de conséquences pour son avenir.

« Vivisection », Treize Étrange, 15 €

Livre : Mondes wuliens à redécouvrir


Stefan Wul, après quelques années d'oubli, revient sur le devant de la scène. Une intégrale des œuvres de cet écrivain de SF français vient de sortir chez Bragelonne.
Stefan Wul, Genefort, scuence-fiction, Niourk, Peur géante, bragelonne
Il n'a pas beaucoup « produit ». Et sur un temps très court. Il a pourtant influencé plusieurs générations d'auteurs, de Laurent Genefort à Jean-Claude Mézières, parmi les plus connus. Stefan Wul est un maître de la SF française. Cette reconnaissance à rebours n'est que méritée.
Au commencement, il y a un jeune dentiste qui s'amuse à écrire des romans populaires durant ses loisirs. Nous sommes dans les années 50, l'espionnage est un genre en plein essor. Pierre Pairault aimait raconter cette anecdote et Laurent Genefort, dans une postface très instructive, la reprend. La femme de Pierre lit un roman de SF et s'exclame « Nom d'un chien, ce que c'est mauvais ! Tu devrais essayer, tu ferais bien mieux ! » Pairault la prend au mot : « Je vais t'écrire un roman de SF, et celui-là sera bon ! ». Quelques jours plus tard, sous le pseudonyme de Stefan Wul, le texte « Retour à O » est finalisé. Proposé au Fleuve Noir, il est accepté dans la collection Anticipation en plein développement. Ce premier essai n'est que l'adaptation d'un précédent roman d'espionnage. Pour le second, Stefan Wul se prend au jeu et se lâche au niveau imagination. Ce sera « Niourk », premier titre de cette intégrale et chef d'œuvre devenu classique.

Adaptation en BD chez Ankama
Dans un monde post-apocaliptique, les humains ont régressé. Ils vivent en tribu comme à la préhistoire. Le héros est un enfant noir, rejeté par son clan en raison de sa couleur. Il va partir à l'aventure, sillonnant les villes abandonnées et les vestiges de la civilisation. Une écriture fluide, des sentiments forts et des décors frappants : toute l'efficacité de Wul est déjà présente dans Niourk. On peut lire le roman ou en découvrir l'adaptation BD faite par Olivier Vatine pour les éditions Ankama.
Le premier tome de l'intégrale reprend deux autres romans de Wul, « La peur géante », archétype du space opéra, genre dans lequel l'auteur français excellait, et « La mort vivante », plus marqué par le fantastique. Dans un château abandonné au cœur d'une chaîne de montagne un vieux savant mène des expériences de clonage le rapprochant de Dieu. Un texte pessimiste en diable, où l'angoisse est omniprésente. Et puis en fin de volume, ne manquez pas les pépites que sont les nouvelles signées Wul. Il n'a pas beaucoup signé de textes courts, il avait besoin de temps, d'espace et de lignes pour développer ses mondes, mais on retrouve dans cette dizaine de nouvelles toute sa faconde. Il y a un petit air Fredric Brown dans certaines idées, comme « Echec au plan 3 » ou « Expertise ». « Jeux de vestales » est plus axée sur les paradoxes temporaux.
La collection « Trésors de la SF », lancée avec Julia Verlanger (alias Gilles Thomas) ne pouvait qu'accueillir en son sein Stefan Wul. La dizaine de romans promet encore au moins deux autres gros volumes, dont le cultissime « Noô », roman fleuve publié en 1977, sorte de testament de Stefan Wul. Pierre Pairault a repris le dessus, le dentiste s'est remis au travail à plein temps. Et une fois à la retraite, il s'est contenté de cultiver son jardin. Comme s'il avait entièrement tarit sa source d'imagination. Mais il a créé suffisamment de mondes pour permettre à plusieurs générations de lecteurs de s'évader loin, très loin....
Michel LITOUT

« L'intégrale Stefan Wul » (tome 1), Bragelonne, 22 €