dimanche 10 juillet 2011

Roman - Retour sur un massacre misogyne à Montréal

Un homme a tué 14 étudiantes de Polytechnique à Montréal en 1989. Un fait-divers qui a marqué un pays. Elise Fontenaille le raconte.

« Vous êtes des femmes, vous faites des études scientifiques, vous allez être ingénieures... vous allez prendre la place des hommes, vous êtes des féministes, je hais les féministes. » Ces paroles sont de Gabriel Lacroix, un jeune Canadien. Il les prononce en tenant en joue une dizaine d'étudiantes. Il a fait irruption en ce 6 décembre 1989 dans une salle de classe. Il a ordonné aux hommes de quitter la pièce. Puis, quand il est seul avec ses futures victimes, il leur a tiré dessus, à bout portant, avec son fusil. Un carnage. Il a continué sa tuerie dans la grande école québécoise, ne tirant que sur les filles.

Cet « Homme qui haïssait les femmes » a réellement existé. Elise Fontenaille, romancière canadienne, a enquêté pour savoir ce qui provoqué sa folie meurtrière. Elle débute son récit par la description détaillée de ce carnage.

Dans le cœur

Ainsi, quelques secondes avant que la police ne se décide enfin à intervenir, Gabriel vient une nouvelle fois de faire feu sur une femme. « La fille, qui est seulement blessée, gémit et supplie qu'on l'aide... Il se baisse, calmement, pose son fusil, s'agenouille devant elle, sort un couteau de chasse de la poche intérieure de sa veste, le lui plonge droit dans le cœur... Une fois, deux fois, trois fois... Jusqu'à ce qu'elle soit tout à fait morte. » Ensuite, il se tire une balle dans la tête. Fin du massacre, début de l'affaire.

L'auteur, avant de détailler le parcours du tueur, raconte comment le mouvement féministe canadien radical a fortement influencé la société. Sortant de plusieurs décennies d'un catholicisme tout-puissant, le pays a tenté de rattraper son retard. « Au Québec, les féministes sont des guerrières. Elles sont bien plus vindicatives que leurs consœurs européennes, trop souvent dans la séduction, le dialogue : des féministes en dentelles. C'est comme ça qu'on les juge, souvent, ici. » Face aux revendications des femmes est né un mouvement masculiniste qui a rapidement tenté de récupérer la figure de Gabriel Lacroix pour le transformer en icône et en martyr.

Un père violent

Gabriel Lacroix et sa mère Pauline sont évidemment omniprésents dans ce roman. Cela donne des clés pour comprendre. Même s'il semble très illusoire de prétendre connaître la vérité. La mère de Gabriel, très croyante, a épousé un Algérien, musulman de surcroit. La lune de miel n'a jamais eu lieu. Un père absent, violent quand il réapparaît. « L'enfant grandit, les coups ne cessent pas, au contraire, ils redoublent, le père cogne l'enfant autant que la mère. Par la terreur qu'il exerce, il empêche Pauline de protéger son fils, il l'empêche de consoler l'enfant terrifié. Plus l'enfant hurle, plus les coups redoublent ; il frappe de préférence à la tête, là où ça fait le plus mal, sous les yeux de sa mère tétanisée. » Père violent et timidité maladive : ces deux pistes sont convaincantes. Du moins elles permettent de mieux cerner la psychologie de Gabriel.

Reste qu'il manque le facteur déclencheur, celui qui a poussé un jeune homme à transformer des mots, « Je n'aime pas les féministes » en actes barbares conduisant inexorablement à sa propre mort. Et une dernière question nous taraude en refermant le roman : qui Gabriel a-t-il essayé de tuer en abattant ces innocentes ?

« L'homme qui haïssait les femmes » d'Elise Fontenaille, Grasset, 14 € (disponible au format pôche au Livre de Poche) 

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