Dany Laferrière, Québécois d'origine haïtienne, peut-il devenir un écrivain japonais ? Son interrogation se transforme en dérive.
Pour son retour au romanesque, Dany Laferrière signe un petit bijou littéraire. L'écrivain canadien, d'origine haïtienne, aime prendre ses lecteurs à contre-pied. En tentant de se glisser dans la peau d'un écrivain japonais, il pousse l'exotisme à son paroxysme. Un roman dans lequel il n'hésite pas à se mettre en scène, avec ses travers, ses manies, ses obsessions, ses vaines tentatives de se prendre au sérieux. Fiction, réalité, il mélange le tout dans un joyeux charivari peuplé de personnages aussi déjantés que l'écrivain, le héros.
Donc, Dany Laferrière décide d'écrire un roman intitulé « Je suis un écrivain japonais ». Au début ce n'est qu'un titre après une réflexion dont il explique la genèse : « Quand je suis devenu moi-même un écrivain et qu'on me fit la question « Etes-vous un écrivain haïtien, caribéen ou francophone ? » je répondis que je prenais la nationalité de mon lecteur. Ce qui veut dire que quand un Japonais me lit, je deviens immédiatement un écrivain japonais. » Une fois le titre trouvé, il lui suffit de le vendre à son éditeur, qui, enthousiaste, lui verse une belle avance. Mais l'auteur reconnaît que s'il est un bon titreur, il est moins aisé d'aller au bout de son idée.
Chanteuse et diplomates
Il va donc tenter de s'imbiber de la culture japonaise. Mais à Québec, cela ne va pas plus loin que le cliché. Armé d'une montagne de préjugés glanés dans les revues et vus à la télévision, il va tenter de se transformer en bon nippon, lisant sans cesse l'œuvre de Basho, un célèbre poète du pays du soleil levant. Et il va payer de sa personne en traînant dans un bar où une chanteuse japonaise, Midori, se produit accompagnée d'une multitude d'amies (rivales ou maîtresses) toutes plus bridées les unes que les autres. Dans ce roman foisonnant, on rencontre Bjork, la chanteuse islandaise possédée par une poupée vaudou, des policiers accusateurs légèrement sadiques et des diplomates nippons très intrigués par la démarche de cet écrivain noir ayant la prétention de devenir, selon leur vision, le prototype de l'écrivain japonais.
L'occasion également pour Dany Laferrière pour lâcher, de-ci delà, quelques réflexions acerbes sur la perception du monde par nos contemporains. Clairvoyant et désabusé, il signe des pages qui feront date comme ce passage sur le pouvoir du sourire : « L'Anglais a déjà tenté de conquérir le monde avec son flegme et son parapluie. Le Japonais, son large sourire et un appareil photo. Le Louvre fait recette avec le sourire de la Mona Lisa. Personne ne rit en Occident. Le sourire c'est le pouvoir. Le rire souligne la défaite du Nègre. Je passe des journées entières à apprendre le sourire japonais. Un sourire détaché du visage. »
Moins « chaud » que ses précédentes œuvres (« Comment faire l'amour avec un Nègre sans se fatiguer » ou « Le goût des jeunes filles »), ce roman donne une dimension supplémentaire à un écrivain inclassable, hors du commun, passionnant dans ses différences.
« Je suis un écrivain japonais », Dany Laferrière, Grasset, 17,90 €
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