Dans une rencontre avec la presse quotidienne régionale, le réalisateur Lucas Belvaux revient sur le message qu’il veut faire passer dans son film « Chez nous » sur les candidats et les électeurs du Front national
L’Indépendant : D’où vous est venue l’envie de réaliser un film politique sur l’extrême droite en France ?
Lucas Belvaux : L’idée du film m’est venue durant le tournage de « Pas son genre », à Arras pendant la campagne des dernières élections municipales. J’aimais beaucoup le personnage principal, une coiffeuse sympathique, volontaire, une fille du peuple pour qui j’avais beaucoup de sympathie. Pendant le tournage, les sondages donnaient entre 30 et 40 % pour le FN. Nous avions parfois 200 figurants sur le plateau. Et statistiquement, cela en faisait entre 60 et 80 qui votaient FN. Je me suis demandé « mais elle, le personnage de Jennifer, comment va-t-elle voter ? » Et surtout, à la fin du film, après qu’elle se soit fait maltraiter par son amoureux philosophe, qui représente la cible des partis populistes, pour qui votera-t-elle après son dépit amoureux ? J’avais cette idée, cette envie de parler du parti et des électeurs mais je ne trouvais pas la forme. Puis j’ai découvert le roman « Le Bloc » de Jérôme Leroy et je me suis appuyé sur cette trame.
« Dans le Nord, voter pour un parti pétainiste n’a aucun sens »
Comment expliquer qu’une jeune femme soit séduite par ce parti ?
Elle travaille dans un secteur où elle est confrontée de 6 h du matin à 22 h le soir à la souffrance. Physique d’abord, et sociale aussi. Au bout d’un moment, elle ne peut répondre à tout, c’est un personnage généreux. Quand elle a la possibilité de s’engager plus, elle le fait car elle est dans une espèce de trou idéologique. Dans cette région, il y a encore ce souvenir de la lutte sociale et en même temps, il y a une rupture dans la transmission sur laquelle prospère le FN. On a une génération, des trentenaires nés au début des années 80, qui ont l’impression que les luttes n’ont abouti à rien. Droite ou gauche, tout ça c’est pareil, les socialistes sont corrompus, et ils n’ont pas tout à fait tort, encore que dans certaines communes où les élus travaillent bien, le FN n’a pas du tout prospéré. Je voulais raconter ce vote contre nature dans une région où il y a eu une résistance très dure dans les mines et maintenant ils votent pour un parti pétainiste et ça n’a aucun sens. On note un rejet de l’élite. Parce qu’on « souffre », on ne veut recevoir de leçon de personne.
Pourquoi sortir le film à moins de deux mois du premier tour ?
On voulait qu’il sorte maintenant, on s’est dépêché pour qu’il soit finalisé pour la campagne électorale. C’est une façon de participer au débat. Ça fait quelques années que le cinéma n’ose plus dire les choses frontalement. Il y a un moment, il faut dire les choses clairement : les gens oublient ce qu’est ce parti fondamentalement. C’est un parti cryptofasciste, raciste, antisémite. Et ce n’est pas la peine d’aller très loin pour s’en rendre compte. Mais les gens sont dans le déni. Pourtant, quand on gratte à peine, on voit réapparaître les vrais fascistes, des nazis. Car aujourd’hui, en 2017 en France, il y a des nazis, des gens qui s’en revendiquent. Notamment l’association des amis de Léon Degrelle, homme politique belge qui a porté l’uniforme SS. Elle publie des revues qui sont des apologies des crimes de guerre ou des nécrologies de combattants SS et dont ses membres sont élus dans les conseils régionaux. Pas ouvertement, ils ne se font pas élire sur ce programme. N’empê- che qu’aujourd’hui il y a des gens qui ont élu des nazis. La grande réussite de Le Pen père a été d’agréger une extrême droite qui était contradictoire. Il y a les fascistes, les Maurassiens, les néo-païens. Aujourd’hui il y a encore des tensions entre eux, mais ce qui les intéresse c’est de prendre le pouvoir, pas d’arranger les choses.
Votre vision de l’actuelle campagne électorale ?
Ça me déprime assez sur le fait que les idées du FN prospè- rent. Quand un syndicaliste policier trouve que « bamboula » c’est acceptable, quand on en arrive là, c’est effrayant. La campagne commence à me faire un peu peur.
(Interview parue dans l'Indépendant le 19 février dernier)
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« On est chez nous »
Avant même sa sortie, le film de Lucas Belvaux a été violemment critiqué par les cadres du Front national. « Un joli navet clairement anti-Front national », selon Florian Philippot. Même élément de langage chez Steve Briois attaquant un « un sacré navet en perspective » et se portant à la rescousse de sa présidente : « Pauvre Marine Le Pen qui est caricaturée par ce pot à tabac de Catherine Jacob ». On appréciera au passage la méchanceté de cette appréciation contre une grande dame du cinéma français qui interprète son personnage sans la moindre outrance, trouvant l’attitude juste d’une femme de fer, poursuivant simplement son unique but par tous les moyens : accéder au pouvoir. Le problème réside bien les méthodes utilisées par le « Bloc », le parti du film, pour arriver à ses fins. La fameuse stratégie de dédiabolisation du FN, mise en place par Marine Le Pen pour faire oublier les provocations du père, n’est qu’un maquillage. Dans les faits, les mêmes décideurs sont toujours dans les instances dirigeantes. Ils n’ont pas perdu par une hypothétique prise de conscience leur profond racisme, antisémitisme et nostalgie d’une France nationaliste et recroquevillée sur ses « valeurs » du passé. « Chez nous » raconte comment la machine infernale va utiliser des hommes et des femmes assez naïfs (comme l’infirmière interprétée par Emilie Dequenne) pour représenter une image propre du mouvement d’extrême droite.
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