En racontant l'histoire de Ruth Ellis, la dernière femme pendue par la justice anglaise, Didier Decoin va beaucoup plus loin que le simple fait divers.
Un homme. Une femme. Albert Pierrepoint et Ruth Ellis. Le roman de Didier Decoin, inspiré de faits réels, raconte à distance la seule et unique rencontre entre la jeune femme blonde et l'austère patron d'un pub londonien. Ruth croise le chemin d'Albert le 13 juillet 1955. Dans une prison. Quelques minutes plus tard Ruth est morte, pendue par Albert, exécuteur en chef du royaume britannique.
Cette fin inéluctable puisque partie intégrante de l'histoire de l'Angleterre, n'est que la conclusion de deux trajectoires magnifiquement racontées par l'écrivain français.
Ruth Ellis n'a jamais eu la vie facile. Violée dès son plus jeune âge par un père alcoolique, elle a cru à l'amour d'un beau soldat canadien venu à Londres pour libérer l'Europe du joug nazi. Quand il apprend qu'elle est enceinte, il préfère retourner de l'autre côté de l'Atlantique retrouver femme et enfants officiels... Seule, abandonnée, un bébé sur les bras, en pleine période de rationnement, elle décide de s'appuyer sur la seule chose qui ne l'a jamais trahie : son physique. Elle répond à une petite annonce et met toutes les chances de son côté. « Elle est ce soir particulièrement élégante dans une robe noire au décolleté discrètement souligné de strass, qui rehausse la blondeur de ses cheveux et en particulier la guiche qui boucle sur son front, adorable accroche-cœur qu'elle a fixé avec de l'eau très sucrée. » Elle devient danseuse et entraîneuse dans des clubs louches. Elle est coquette, fière de de sa chevelure d'un blond absolu. En réalité, c'est une simple prostituée qui essaie de survivre dans un monde dominé par les pulsions des mâles.
La bonne longueur de corde
Albert Pierrepoint a pris la succession de son père. Exécuteur. Bourreau. Il pend avec précision. Il fait tout pour que la mort soit quasi instantanée. En ces lendemains de seconde guerre mondiale, il est chargé de pendre les criminels nazis. Il va régulièrement et Allemagne et tue des dizaines de condamnés au cours de journées intenses. Il est froid, sans émotion. Un véritable robot. Sans faille. « En me fondant sur la table officielle établie par le Home Office à partir des calculs de James Berry, lequel avait officié comme exécuteur de 1884 à 1891, je décidai donc de passer au cou d'Irma Grese une corde longue de très précisément deux mètres et 23 centimètres. » Irma Grese a 22 ans. Albert s'en moque.
L'essentiel du roman est consacré à Ruth. Comment après des années et des années de souffrance, elle tombe amoureuse d'un pilote de course sans le sou. Elle se ruine pour lui. Perd son travail. Lui ne s'intéresse qu'à ses bolides. Et à la moindre contrariété bat sa maîtresse. Jusqu'à la faire avorter. Un jour, Ruth en a assez. Manipulée par un prétendant, elle abat son amant au sortir d'un pub.
La dernière partie du roman est d'une force étonnante. Albert s'humanise. Hésite même à se charger de cette exécution. Ruth semble soulagée. Derrière les murs de la prison elle est enfin à l'abri de ces hommes qui, de son père à son dernier amant, ont jouit de son corps avant de l'utiliser comme un vulgaire punching-ball.
Un homme. Une femme. La mort. Une tragédie...
Michel LITOUT
« La pendue de Londres » de Didier Decoin, Grasset, 18,90 €
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