Amateurs d’histoires alambiquées, ce roman de science-fiction inédit d’Andrew Wiener devrait totalement assouvir votre vice. Cela débute comme un polar américain classique. Joe Kay est détective privé. Blasé, pas très vaillant, il s’est spécialisé dans la recherche des personnes disparues. Sa ténacité et son opiniâtreté font qu’il est devenu au fil des affaires le meilleur dans son secteur d’activité. Quand Victor Lazare, avocat, pénètre dans son bureau pour lui demander de retrouver Walter Hertz, simple cadre aux archives municipales, Kay accepte et, tel un fauve reniflant la piste fraîche d’un animal, il va rapidement plonger dans le passé du disparu.
A priori, Lazare agit pour le compte de la femme de Hertz. Ce dernier aurait filé après avoir rencontré une autre femme, Marcia Tromb, une peintre. Or, dans ce futur très aseptisé décrit par Andrew Weiner, les artistes ont très mauvaise presse. Accusés de propager des idées subversives, ils ont rarement l’occasion de s’exprimer librement.
Disparition inéluctable
Les doutes de Kay vont naître quand Marcia va lui prétendre mordicus que Hertz n’est pas marié. Sa femme ne serait qu’une actrice embauchée pour donner le change. En se penchant sur le passé de Hertz, Kay va réaliser que toutes les traces de l’existence de l’archiviste sont en train de s’effacer. Les personnes l’ayant connu vont lentement mais sûrement disparaître. Hertz est en train de s’évanouir. Seule la mémoire de Kay va le pousser à prolonger son enquête. Mais pourquoi retrouver cet homme puisque même le commanditaire semble n’avoir jamais existé ? Un cauchemar ? Non, la découverte par Kay que sa réalité n’est peut-être qu’une vaste mise en scène. Et il fait de plus en plus attention aux graffitis ornant les murs de la ville. Des appels à la révolte ou à une certaine prise de conscience comme « franchis la ligne », « la réalité n’est que temporaire » ou « rendez-vous au mur ». Pour tenter de comprendre ce qui lui arrive, il entre en contact avec les jeunes taggueurs. Ces derniers, se cachant dans les tunnels désaffectés du métro, lui expliquent que, régulièrement, les autorités effacent la mémoire de certains habitants et les déportent hors de la ville. Kay, très sceptique au début, finira finalement par accepter ce fait quand il lui sera impossible de franchir un pont. Au-delà d’une certaine limite, il perd connaissance, comme plongé dans un brouillard noir et dense, incapable d’agir mais surtout de se souvenir de son identité.
On reprend les mêmes…
C’est sur cette scène que s’achève la première partie assez ténébreuse de l’histoire. Nouveau début avec l’entrée en scène de Joseph Kaminsky, le meilleur limier de la ville. Un certain Victor Lazare lui demande de retrouver sa femme, disparue depuis quelques jours. Le lecteur a l’impression de revoir le même film mais avec un nouveau décor et des acteurs différents.
Le détective, lui, ayant de vagues souvenirs de la précédente affaire, se pose de plus en plus de questions sur son monde. Ne serait-il pas un simple jouet dans les mains de savants fous à la recherche de cobayes dociles ? En toile de fond de ce roman déroutant, il y a l’interprétation des rêves. Mais est-ce véritablement des rêves ? Pourquoi pas des réminiscences de réalités parallèles ou de vies antérieures ? Andrew Wiener semble prendre beaucoup de plaisir à décrire la dérive de son héros, de plus en plus dépassé, de plus en plus individualiste, de plus en plus humain, tout simplement…
« Boulevard des disparus », Andrew Weiner, Folio SF, 7 €
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