Un jeune idéaliste russe décide d’assassiner le meurtrier du grand poète Pouchkine. Un roman historique de vie et de mort signé Henri Troyat.
Alexandre Rybakoff, jeune Russe de bonne famille, vient d’achever ses études dans le même lycée que le poète Pouchkine a fréquenté dans sa jeunesse. Pouchkine mort il y a 32 ans dans un duel. Le Russe avait provoqué un officier français tournant autour de sa femme. Le baron Georges de Heeckeren d'Anthès, sans coup férir, tua l’écrivain jaloux, plongeant le monde littéraire russe dans un deuil interminable. D’Anthès, après quelques remontrances de sa hiérarchie militaire, a pu retourner dans son pays. Et quand Alexandre apprend que ce dernier mène la vie brillante d’un sénateur du Second Empire, il se jure de venger Pouchkine.
Découverte de la vie
Une vengeance littéraire, telle est la trame de ce nouveau roman de Henri Troyat, académicien infatigable malgré ses 95 ans. Il est vrai qu’il aborde là un milieu qu’il connaît parfaitement, ayant signé il y a fort longtemps une biographie de Pouchkine. Mais cette fois il s’est intéressé au gagnant du duel, obscur militaire, devenu homme politique et grand serviteur de Napoléon III. Prétextant le besoin d’une cure au soleil du Midi de la France, Alexandre quitte les froidures de Saint-Pétersbourg et s’arrête à Paris. Jeune étudiant idéaliste, il va découvrir, au cours de sa quête de l’homme honni, l’exaltation des Républicains et le charme incendiaire des petites femmes de Paris.
Mais même les plaisirs de cette vie nouvelle, loin de sa mère et de ses professeurs, ne l’empêchent pas de pister sa proie. C’est pratiquement dans une enquête policière qu’il se lance, repérant grâce à beaucoup de persévérance le meurtrier de Pouchkine, l’observant discrètement, cherchant à découvrir ses habitudes pour tenter de trouver une faille. Car il veut le tuer, mais également lui expliquer les raisons de cet acte.
Entre haine et sympathie
Il trouvera finalement une ouverture grâce à un ami journaliste qui lui conseille de postuler au poste de secrétaire traducteur. Alexandre, sans trop y croire, écrit à D’Anthès et se retrouve engagé en moins d’une semaine. Cachant ses intentions, le tueur en puissance va tout faire pour devenir un familier de sa future victime. Et au fil des séances de travail, Alexandre va mieux connaître cet homme politique réactionnaire mais bon père de famille. Et petit à petit le doute va s’immiscer dans l’esprit d’Alexandre : « L’idée que le meurtrier de Pouchkine était capable de sentiments humains me dérangeait dans ma haine. J’aurais voulu qu’il fût un bloc de défauts. Seul un monstre intégral pouvait me renforcer dans ma décision. Mais les monstres n’existent que dans l’imagination des romanciers. La vie nous apprend à détester ou à aimer des gens qui ne sont ni totalement détestables, ni totalement aimables. La jeunesse méprise le juste milieu, l’âge mûr en fait son ordinaire ».
Le cas de conscience d’Alexandre est de plus en plus flagrant. Va-t-il respecter son engagement ou au contraire, la raison lui dictera d’épargner ce vieil homme ? C’est dans ce questionnement que repose toute l’intrigue du roman. Henri Troyat, en vieux routier de l’âme humaine, va décortiquer les errements, hésitations et exaltations du jeune Alexandre, avec en toile de fond historique les prémices de la guerre de 70 entre la France et la Prusse. Un roman exemplaire sur le façonnement de la personnalité d’un homme, quel qu’il soit.
« La traque », Henri Troyat, Grasset, 16,90 €
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