mardi 6 janvier 2015

BD : Glissements d'univers dans RASL de Jeff Smith

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Après des années et des années à dessiner les aventures de Bone (succès planétaire oblige), Jeff Smith a osé changer radicalement de style et d'univers. Dans RASL, il adopte un dessin beaucoup plus réaliste, moins rond et gentil. Et surtout il entre de plain-pied dans la science-fiction en développant son récit autour de la découverte d'une machine permettant de surfer sur les univers parallèles. RASL, le héros, voleur d'œuvres d'art, passe d'un monde à un autre. Il peut ainsi multiplier les toiles de grands maîtres sans être suspecté d'être un faussaire. Surtout, il a récupéré les carnets secrets de Tesla, l'inventeur de la combinaison permettant de glisser d'un monde à un autre. Des carnets convoités par une agence gouvernementale lancée à sa poursuite. Sur 200 pages, soit 7 chapitres de la trilogie complète, on en apprend un peu plus sur la gloire puis la fin misérable de Tesla, sur les relations entre RASL et son meilleur ami, chercheur lui aussi. Comment il a séduit sa femme et tenté d'empêcher une catastrophe mondiale. C'est dense, intelligent, avec de véritables morceaux de fantastique et un suspense en permanence relancé. A ne pas manquer.

« RASL » (tome 2), Delcourt, 17,95 €

BD : La vraie vie d'Agatha Christie

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Romancière la plus lue au monde, Agatha Christie s'est lancée dans l'écriture à la suite d'un pari avec sa sœur. La jeune Anglaise ne rencontre pas immédiatement le succès. Au contraire, elle mettra des années avant de terminer ce premier roman et oser s'attaquer au suivant. Une longue maturation qui lui permet de sortir en 1920 « La mystérieuse affaire de Styles », première apparition d'Hercule Poirot, le détective belge qui aime faire travailler ses petites cellules grises. Le succès est phénoménal, sa vie change. Dans cette biographie de 130 pages, les auteurs s'intéressent essentiellement à la femme, délaissant un peu la romancière. Anne Martinetti et Guillaume Lebeau, les scénaristes, racontent son amour pour son père, ses premiers voyages avec sa mère, ses envies d'émancipation et son coup de foudre pour un beau pilote de l'armée anglaise. Une histoire d'amour qui finira mal. Trompée, elle disparaît durant 11 jours en 1926. Elle revient, divorce et poursuit sa création littéraire, multipliant les chef-d'œuvre comme « Dix petits nègres » ou « Le crime de l'Orient-Express ». Alexandre Franc, le dessinateur, propose une version très ligne claire de la vie d'Agatha, avec un Hercule Poirot très stylisé, compagnon de solitude de la grande romancière.

« Agatha », Marabout, 17,90 €

DE CHOSES ET D'AUTRES : Cherchez le message caché

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Image d'Épinal, image subliminale : on ne voit pas forcément tout ce que les illustrateurs mettent dans leurs créations. Des passionnés se sont par exemple amusés à décortiquer tous les dessins animés de Disney. Et nombre de bonus cachés ont été révélés par les meilleurs observateurs.
Régulièrement, d'autres personnages font des apparitions fugitives. Qui a remarqué la présence de Dumbo (sous la forme d'une peluche) dans le film "Lilo et Stitch" ou que Nemo le petit poisson, nage au milieu des saumons dans "Frères des ours". Autre spécialité des animateurs Disney, placer la tête de Mickey un peu partout. Simplifiée au maximum, elle n'est plus qu'un gros cercle surmonté de deux plus petits pour les oreilles. Mickey prend donc l'apparence de bulles de savon dans Blanche-Neige ou de melons sur l'étal d'un primeur dans Lilo et Stitch.
Loin d'être nouvelle, cette pratique d'insérer un symbole caché dans une illustration plus grande est très ancienne, on en a retrouvé dans les vitraux de certaines abbayes. Une constante à travers les âges et les civilisations.
Comme si l'esprit humain était incapable de se contenter de choses simples. La porte ouverte à tous les amateurs de complot dotés d'un peu d'imagination. À l'instar des billets de 1 dollar US, illustrés par la prétendue pyramide des illuminatis.
Quant à cette chronique, n'étant pas illustrée, si elle cache quelque chose, c'est un mot particulier ou une suite de mots (en rouge sur le blog). Un jeu de piste, une contrainte, qui débute aujourd'hui et se prolongera demain avec un nouveau mot. Ainsi, au fil des parutions, les lecteurs attentifs et fidèles pourront lire une chronique cachée dans les chroniques...

DVD : "Mister Babadook", peurs australiennes

babadook, kent, horreur, conteLes films d'horreur les plus efficaces ne sont pas ceux qui proposent quantité d'effets spéciaux. La peur, avant d'être montrée, doit être ressentie. Jennifer Kent, la réalisatrice de « Mister Babadook » a parfaitement intégré cette donnée pour son premier film. Des décors minimalistes (une vieille maison) et deux acteurs impliquées (la mère Essie Davis et son fils Noah Wiseman) suffisent pour vous filer une frousse mémorable. Depuis la mort de son mari dans un accident de la route, Amelia élève seule son fils Samuel. Ce dernier, comme beaucoup de petits garçons de 7 ans, est persuadé que des monstres colonisent ses placards et vivent sous son lit. Elle doit développer des trésors d'ingéniosité pour le rassurer. Jusqu'à ce qu'elle lise l'histoire de Mister Babadook, un monstre qui vient frapper à la porte de la maison la nuit venue. Réel ou imaginaire ? Le cauchemar peut commencer.
Une variation brillante et virtuose sur les névroses, la folie et l'imaginaire. Récompensé à juste titre en 2014 au festival du film fantastique de Gérardmer.

« Mister Babadook », Wild Side Vidéo, 19,99 euros DVD, 24,99 euros blu-ray 

DE CHOSES ET D'AUTRES : Vrais et faux défauts

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Séduire une femme (ou un homme, tout dépend du sexe et de l'orientation sexuelle), est certainement le plus grand défi que l'on puisse se lancer. Grâce à internet, les agences matrimoniales se sont dématérialisées pour se transformer en sites de rencontres. Terminée la cour galante, place au rentre-dedans.
Et surtout vive les arrangements avec la vérité. Tout est une question de plus ou de moins. Plus grand, moins vieux, plus riche, moins gros... Quelques ajustements sur les curseurs et on passe d'insignifiant à intéressant. Problème, l'étape de la rencontre en tête-à-tête ruine tous ces beaux mensonges. Les petits malins de « Settle for love » ont eu l'idée de créer un site de rencontres où les membres ne sont pas obligés de tricher pour se présenter.
Votre profil se compose de deux colonnes : vos qualités et vos défauts. Souvent, cette seconde catégorie constitue la dominante de votre personnalité. Quelques exemples. Il s'affirme très patient, mais n'aime pas les chiens. Il adore les ours, mais passe son temps à jouer aux jeux vidéo. Les créateurs du site affirment que certaines personnes verront dans ces inconvénients de réelles qualités. Le fameux « qui se ressemble s'assemble ».
Attention cependant, certains défauts sont réellement rédhibitoires. « Je pue des pieds » reste un répulsif total et définitif dans toute relation amoureuse normale. A l'opposé, mesdames, vous n'obtiendrez aucune réponse à votre annonce si vous avouez « ne pas supporter les hommes qui laissent systématiquement les lunettes des WC relevées. » Arrêtez de vous bercer d'illusion, cet oiseau rare n'existe pas...

dimanche 4 janvier 2015

Cinéma : la triste élite britannique du "Riot Club"

Ils sont riches et intelligents. Ils sont surtout prétentieux et odieux... La jeunesse britannique est passée à la moulinette dans « The Riot Club », film de la Danoise Lone Scherfig.

Oxford. La prestigieuse université anglaise est le passage obligé pour l'élite britannique. Depuis des siècles, les meilleurs y bénéficient d'un enseignement de qualité pour les préparer à occuper les plus grandes responsabilités. Une culture de l'excellence qui a cependant ses inconvénients, ses dérives. « The Riot Club », film de la Danoise Lone Scherfig inspiré d'une pièce à succès de l'Anglaise Laura Wade qui en assure l'adaptation, décrit le fonctionnement d'un Club étudiant très extrême. Le Riot Club n'a rien à voir avec l'émeute, traduction littérale du mot. C'est en fait un club libertin en l'honneur de Lord Riot, un noble aux idées très larges en matière de sexe, étudiant à Oxford et trucidé par un mari cocufié. A chaque rentrée de premières années, le club doit recruter de nouveaux membres. Mais il ne doit jamais en compter plus de dix. Des hommes, bien évidemment.
Les premières images du film (après la courte scène de la mort de Lord Riot), présente les arrivées de Miles (Sam Claflin) et Allistair (Max Irons). Ce dernier va être choisi par les autres membres. Même s'il n'a pas tout à fait le profil type. Côté richesse et intelligence pas de problème, mais c'est surtout au niveau de l'humanité que le bât blesse. Il en a trop. Beaucoup trop. Allistair tombe même amoureux d'une autre étudiante. Il accepte cependant de passer les épreuves. Une sorte de bizutage extrême.

riot club, scherfig
Repas de tous les excès
Déjà à ce niveau, les membres du Riot Club sont très antipathiques. D'une prétention absolue, ils se moquent des conventions, estiment que tout leur est du, qu'un chèque permet de tout obtenir. Mais c'est peu de choses à côté du repas officiel au cours duquel les membres du club vont désigner le président.
Pour plus de discrétion, ils choisissent une auberge du Pays de Galles, chez les bouseux... Ils louent une grande salle et débutent leur orgie de plaisirs. Des tonnes de nourriture, pour manger à s'en faire éclater la panse (on n'est pas loin de la Grande Bouffe), des litres d'alcool pour faire descendre le tout, une prostituée pour satisfaire les besoins des uns et des autres et surtout la volonté d'humilier le personnel et de saccager le mobilier.
Dans ce lieu clos, comme à l'abri de toute raison, ils se déchaînent. Miles est le plus violent, le plus jusqu'au boutiste. Allistair, lui, craque, préfère quitter le navire avant qu'il ne soit trop tard. Mais il est toujours trop tard quand on est membre du Riot club...

riot club, scherfig

Ce n'est pas un hasard si le scénario et la mise en scène sont l'œuvre de deux femmes. Il fallait un regard féminin pour montrer toute l'horreur de la situation de mâles arrogants. Ils sont jeunes, beaux, riches et intelligents. Mais ils se ressemblent : tous pourris. Quand l'élite se délite, un pays court à sa perte. Enfin, c'est ce que l'on pourrait croire. En réalité, la fin est encore plus noire que le repas. Miles ne sera finalement pas inquiété. Au contraire, ses frasques lui ouvrent des portes car comme lui fait remarquer un ancien du club, occupant un poste prestigieux : « Les gens comme nous ne font pas d'erreur »...

samedi 3 janvier 2015

BD : Autobio inversée


maliki, ankama
Maliki est une héroïne de bande dessinée qui a débuté sur internet. Des strips, puis des histoires courtes. De plus en plus de vues et finalement la reprise en albums chez Ankama. Maliki, mignonne, espiègle, les cheveux roses, les oreilles pointues, est mangaka. Elle dessine ses propres histoires. Sauf que rapidement on a découvert que ce n'était qu'une couverture pour un certain Souillon, homme et français. Pour la première fois le jeune auteur signe un album sous son véritable nom. Ce n'est pas un hasard s'il décide de raconter sa période étudiant en arts plastiques. Mais encore une fois, il inverse cette autobiographie en donnant son rôle à Mali, une Maliki beaucoup plus trash que l'originale. En permanence avec de gros écouteurs sur la tête, elle ne supporte plus les cours théoriques. Alors elle boit (beaucoup), se fait draguer (toujours) et finit ses nuits seule dans de terribles angoisses, terrées au fond de son petit appartement. Elle a deux amis, un garçon qui est amoureux d'elle et une fille, qui elle aussi est amoureuse d'elle... Finalement, elle préfère coucher avec son prof de « Photocopie », adepte de champignons hallucinogènes. Une BD étonnante, entre introspection, satire sociale et critique sociétale.

« Hello Fucktopia », Ankama, 14,90 €

vendredi 2 janvier 2015

Livre : Scandales à la sauce islandaise

Sous prétexte d'une enquête policière classique, Arni Thorarinsson passe au scanner le fonctionnement de la presse en Islande et les jeux subtils des hommes politiques locaux.

Arni Thorarinsson, islande, einar, métailiéUn roman policier d'Arni Thorarinsson est tout sauf simple. Il faut s'accrocher dans les premières pages de « L'ombre des chats » vu le nombre de personnages. Normal, l'action se déroule au cours d'un mariage où les deux-tiers des protagonistes du livre se retrouvent. En premier lieu Einar, le journaliste vedette du Journal du Soir. Cet enquêteur hors pair, limier implacable à la plume aussi acérée que libre, est un ami et collègue des amies des mariées. Deux mariées, car en Islande, beaucoup plus tôt qu'en France, le mariage entre personnes du même sexe est possible. Même devant les autorités religieuses, en l'occurrence un pasteur.
Cela n'empêche pas les fâcheux de s'inviter à la noce. Quelques perturbateurs directs, non pas par idéologie, mais à cause de l'alcool, de vieilles rancunes ou simplement d'histoires d'argent. Einar regarde tout cela distraitement. Il est surtout tracassé par deux SMS qu'il vient de recevoir sur son téléphone. Des allusions graveleuses et bourrées de fautes d'orthographe. Qui a bien pu lui a envoyé ces horreurs ? Il aura la solution quelques jours plus tard, grâce à l'intervention de la responsable informatique du journal (on ne dira jamais assez de bien de ces hommes et femmes, toujours sur la brèche et pourtant disponibles pour dépanner ou aider ces écrivaillons handicapés du mégabit). Einar a donc subi des avances sexuelles de la part du numéro 2 du parti socialiste, futur numéro 1, possible Premier ministre. Un élu qui justement est au cœur d'une des enquêtes d'Einar, une tonitruante histoire de corruption. Le tout au moment même où la majorité du capital du Journal du Soir va peut-être changer de mains. Et comme par hasard c'est le pire ennemi du numéro 2 du PS qui ambitionne de contrôler l'influent quotidien...

Double suicide
N'importe quel auteur se serait largement contenté de cette intrigue pour boucler les 300 pages du polar. Arni Thorarinsson non. Il rajoute à cette histoire déjà passablement touffue un double suicide assisté par ordinateur (dont une des deux mariées du début du roman), le passage à tabac d'un employé modèle, la fuite en Europe de l'ancienne maîtresse d'Einar, toujours recherchée pour escroquerie et l'aménagement de nouveaux voisins dans l'immeuble du journaliste. Un couple victime de la crise qui a trois chats très indépendants, ces fameux chats qui donnent le titre au roman. Bref, impossible de s'ennuyer dans ce genre de livre. Notamment quand Einar juge ces hommes politiques magouilleurs et imbus de leurs personnalités. « Ces types se posent en hérauts de la liberté et de la vérité, mais uniquement quand ça les arrange. N'ont-ils pas conscience du paradoxe ? A moins qu'ils ne soient schizophrènes ? Je l'ignore. En revanche, je sais que ce genre d'hommes dirigent le pays et sans doute le monde entier. Pourquoi ? Justement parce qu'ils sont comme ça. »
Autant polar que roman social et politique, « L'ombre des chats » est une nouvelle preuve éclatante de l'incroyable richesse de la littérature islandaise, petit pays par le nombre d'habitants, géant des lettres par l'excellence de ses auteurs.
Michel Litout

« L'ombre des chats », Arni Thorarinsson, Métailié, 20 €

jeudi 1 janvier 2015

Livre : Sous la ville rouge

frégni, marseille, folioCharlie Hasard, le personnage principal de « Sous la ville rouge » de René Frégni rêve de devenir écrivain. Passionné de boxe, vivant reclus dans son petit appartement marseillais, il espère le coup de fil de la maison d'édition parisienne. Mais il ne reçoit que des lettres types de refus... Charlie s'obstine, relance, réécrit. Il est au bord du suicide quand enfin il reçoit le coup de fil salvateur. Mais il faut passer le filtre du comité de lecture. Un veto annihile tous les espoirs de Charlie. Le personnage imaginaire n'a pas de seconde chance. Et il décide de dire sa façon de penser à ce tueur de talents. Avec ses poings de boxeur. L'écriture de René Frégni, tranchante, aiguisée, dissèque les illusions de son héros. Jusqu'à la folie.(Folio, 5,60 €)

mercredi 31 décembre 2014

BD : Aujourd'hui l'apocalypse dans "Le grand Mort" de Loisel, Djian et Mallié


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Nette montée en puissance de la série fantastique « Le grand mort ». Remarquée dès le premier épisode, elle ne cesse de conquérir de nouveaux adeptes. Un succès qui semble offrir l'opportunité aux auteurs de se donner du temps et de l'espace pour mieux charpenter leur univers. Il y a d'un côté notre monde réel et de l'autre celui du Grand Mort. Le seul passage entre ces deux dimensions est très fréquenté. Et pas sans conséquence. Blanche, la petite fille venue de l'autre côté de la porte, vit désormais avec Erwan, au prénom breton mais à la peau noire comme ses lointains ancêtres africains. Ils vivent retirés dans une masure aux cœur des bois. Quand ils décident d'aller au village se ravitailler (Blanche, tout en ayant des pouvoirs surnaturels, n'en demeure pas moins une fillette qui a faim et aime beaucoup les petits pains aux chocolats), ils découvrent une région dévastée. Un tremblement de terre à causé des milliers de morts. Un phénomène planétaire. Dans ce décor d'apocalypse, le duo tente d'aider les blessés alors que sur les routes, Pauline (la mère de Blanche) et Gaëlle, tentent de rejoindre la Bretagne en scooter dans un monde en pleine déliquescence. On retrouve au scénario de ce best-seller un vieux routier de la BD, Loisel, aidé par un jeune plein de promesses, Jean-Baptiste Djian. Un succès dû également au trait élégant et très expressif de Vincent Mallié qui a par ailleurs repris le dessin de la Quête de l'oiseau du temps d'un certain... Loisel.

« Le grand mort » (tome 5), Vents d'Ouest, 14,95 euros